Frères et sœurs bien aimés, en ce 2ème dimanche du Temps de Carême, l’Église nous donne le récit de la Transfiguration du Seigneur.
Ce récit fait partie de la catéchèse baptismale où nos catéchumènes, qui seront baptisés dans la Nuit pascale, progressent dans la connaissance ultime de Jésus ; et l’Église comme une Mère qui enfante, prépare cette nouvelle naissance à travers les textes évangéliques et les appels successifs qui conduisent au sacrement de l’Illumination chrétienne : le Saint baptême, pour être intégré au Corps du Christ qui est l’Église Sainte et Immaculée.
Ce récit de la Transfiguration est au centre du Mystère pascal, de la passion, de la mort et de la résurrection du Sauveur comme un avant-gout ; ou tout simplement une manifestation de ce que Jésus est en Lui-même : la Personne du Christ est la deuxième Personne de la Trinité, Dieu Lui-même ; et Jésus laisse transparaitre quelque peu cette gloire qui l’habite et qui resplendit de sa Personne à travers son humanité Sainte.
Dans le Nouveau Testament, comme dans la première Alliance, le Seigneur veut s’adresser à toute l’humanité, à tous les hommes ; mais Il emploie comme une pédagogie, comme un déploiement et un déroulement progressifs de la révélation de son Mystère et du Salut qu’Il apporte. Le Seigneur prend son temps, il y a une maturation, un développement.
Si tous les hommes sont appelés, si tous les chrétiens sont appelés et comblés de la vie divine – c’est-à-dire de la Vie trinitaire par le baptême, la confirmation, le sacrement de l’Eucharistie et le sacrement de pénitence, qui nous redonnent la dynamique baptismale sans arrêt : vivre dans la miséricorde divine – certains sont choisis, non au détriment des autres, mais à leur service.
Il n’y a pas de propriété privée dans la vie de la grâce, tout est commun à tous mais il y a un ordre organique (comme dans un organisme) afin que tout le corps bénéficie de la vie.
Certains sont appelés à être davantage des coopérateurs de l’Œuvre de Dieu en action dans l’Église et dans le monde à travers le temps, à travers l’espace.
Nous voyons ces trois apôtres choisis dans le groupe apostolique, pour être plus particulièrement proches du Christ Jésus dans son Mystère et dans sa mission.
Pierre, choisi comme le roc de l’Église que Jésus veut construire à partir de lui ; même si Jésus est le fondement de l’Église et la pierre angulaire, Il choisit un être humain, un pêcheur de Galilée. Pierre avec ses mains calleuses, son accent galiléen, son style de vie, c’est lui que Jésus choisit.
Jacques qui sera le premier parmi les apôtres à donner sa vie, à mourir martyr et à boire à la coupe du Seigneur ; il ne se demandera plus s’il sera à la droite ou à la gauche de Jésus mais il donne sa vie.
Et Jean son frère de sang, ce grand apôtre, cet évangéliste, qui nous parle de la révélation dans son évangile, dans ses trois Lettres apostoliques et dans l’Apocalypse. Il sera le dernier apôtre à mourir et à clore la révélation divine. Avec le temps, la Révélation sera développée, explicitée, mais la Révélation est close avec la mort du dernier apôtre, St Jean.
Ces trois apôtres « encadrent » (en quelque sorte), l’ultime étape de la Révélation divine. Ces trois disciples sont présents déjà à la résurrection de la fille de Jaïre, et ils seront présents à l’agonie du Christ à Gethsémani. Et là, ils « s’imbibent » de la Présence de Jésus, de ce Jésus glorieux, Maitre du temps et de l’histoire : Jésus parle avec Moïse et Elie ! Jésus récapitule la première Alliance, Il l’assume, l’accomplit dans sa Personne ; Il l’ouvre à la réalité vivifiante du nouveau Testament… L’Alliance définitive, plénière, éternelle, qui est indépassable ; il ne peut pas y avoir d’autre alliance après le Christ. Il est la plénitude dans sa Personne. L’Église, son Épouse, développe cette continuation du Christ, cette Présence du Christ, qui apporte le Salut, la Vie, la Lumière ; l’Église est la recréation du genre humain à travers la grâce divine donnée par la vie sacramentelle, par la foi.
Frères et sœurs, Jésus appelle encore aujourd’hui des hommes et des femmes à le suivre de plus près, dans une plus grande proximité d’amour avec lui.
Proximité dans sa passion, dans sa mission, pour faire croitre son Corps qui est l’Église, tant sur le plan de l’extension : la visée missionnaire, que de l’intensité intérieure qui se nomme la sainteté ! Oui, tous et chacun, nous sommes appelés à participer à cette extension, à cette sainteté ; certains et certaines sont appelés davantage à être unis à la Croix du Christ dans un amour intense.
Ce sont les deux caractéristiques de notre vie chrétienne et du Salut : Jésus, l’Envoyé du Père, le Fils unique, a sauvé le monde par l’amour et par la Croix ! Nous aimerions passer du Thabor au Royaume des cieux en ligne directe… mais il y a une étape qui s’appelle le Golgotha ! Chacun et chacune est appelé à assumer ce Golgotha personnel. Il est impossible de l’éviter, c’est un sens unique ! Passer de la gloire de Jésus – qui est là, on en est certain – donne de la force à ce Golgotha où nous sommes déroutés, un peu comme st Pierre au moment de la passion du Christ, quand st Pierre dit à la jeune servante qui le questionne sur Jésus : « je ne connais pas cet homme ».
St Pierre n’a pas totalement tort d’un certain côté au niveau subjectif ; au niveau objectif, c’est un reniement. Cet homme, il ne le reconnait plus ! Ce Jésus avec qui il a marché sur les routes de Galilée… ce Jésus qui était aux Noces de Cana, qui a changé l’eau en vin… ce Jésus qui a proclamé les Béatitudes… ce Jésus qui est transfiguré, qui a parlé avec Moïse et Elie…
Pierre a entendu la voix du Père, il a vu la nuée lumineuse, l’Esprit Saint qui descend…
Et c’est ce Jésus qui est couvert de sang, couronné d’épines, défiguré ? Mais je ne connais pas cet homme, ce n’est pas Jésus !… et pourtant c’est le même Jésus.
Il en est la même chose dans notre vie : d’être avec Jésus quand tout va bien, quand on prie avec facilité, quand la vie est relativement facile…tout va bien, le travail marche bien, la famille va bien, la santé se porte correctement, l’avenir est correct, plutôt confortable, cossu…
Et quand les ennuis commencent à arriver : la maladie, le revers de fortune, les échecs, voire la persécution, le rejet de la famille, les divisions… mais comment suivre Jésus ?… comment suivre Jésus doux et humble de cœur ? Alors qu’on en prend plein la figure !
Nous ne reconnaissons plus ce Jésus qui nous promet le bonheur parce que notre propre vie est défigurée, nos proches sont couronnés d’épines, les lointains… mais où est Jésus ?
Cet homme, je ne le connais pas !
Et pourtant, c’est ce même Jésus qui nous accompagne ! C’est le passage, la purification de la foi, où c’est ce même Jésus dans le sein de Marie, le Verbe fait chair, le même Jésus qui annonce le Royaume de son Père, qui s’adresse aux pauvres, aux petits. C’est ce Jésus qui est transfiguré aujourd’hui ; c’est ce Jésus qui est ressuscité mais qui est passé pour nous, par amour de nous, par le Mystère de sa passion (et la réalité historique de sa passion), de sa mort et de sa descente aux enfers pour aller chercher les hommes.
Oui, frères et sœurs, nous sommes appelés à un changement dans notre vie, de reconnaitre Jésus dans sa gloire mais de savoir qu’Il est passé pour nous, par amour pour nous, par le Golgotha, par la Croix.
Les apôtres, comme nous-mêmes, sont réconfortés par la présence de Moïse et d’Elie ; Jésus s’entretient avec eux, c’est merveilleux ! Un dialogue amical : voilà le modèle de notre prière. Nous sommes appelés à avoir un entretien avec Jésus, voilà la prière ! C’est réconfortant, c’est dynamisant !
On parle avec Jésus dans le Saint sacrement. Si on est chez soi, la Trinité habite au fond de notre âme ; on s’adresse à Dieu comme à un ami. D’ailleurs Moïse s’adressait au Seigneur dans la Tente du rendez-vous, dans la Tente de la Rencontre face à face ; à tel point qu’il devait mettre un voile sur son visage parce qu’il rayonnait de la Présence de Dieu. Et Elie cet homme de feu au caractère impétueux, ce prophète a rencontré aussi Dieu à l’Horeb, au Sinaï (c’est le même lieu avec deux noms différents), où le Seigneur lui parle dans la brise légère et le renvoie à sa mission en disant : tu choisiras Élisée, etc… etc…
Nous sommes appelés à avoir cette proximité avec Dieu, avec Jésus, nous entretenir avec Lui. De voir que nous rentrons à travers la prière dans cette communion des saints. Quand Moïse et Elie s’adressent à Jésus dans la Transfiguration, ils sont morts quelques siècles avant ! Ils continuent à vivre près de Jésus, près du Père dans l’Esprit Saint, de manière mystérieuse. Les trois apôtres voient cela ; et nous sommes confortés dans cette avancée pour être fidèles à notre vie.
Frères et sœurs, dans ce récit historique de la Transfiguration, Jésus révèle son état dans la réalité de sa divinité ; du moins partiellement, car sa lumière nous écraserait si elle n’était pas filtrée.
Jésus accomplit de manière définitive le Salut des hommes et de l’humanité ; Il est la récapitulation dans sa Personne et dans son agir de toute l’histoire du Salut.
Ce récit de la Transfiguration est comme un résumé de notre propre vie chrétienne. Tout au long de notre vie, je viens de le dire, nous recevons des grâces innombrables ; ces grâces nous habitent, restent des références lumineuses dans notre vie. Ces moments où l’on a rencontré le Seigneur et qui nous marquent à jamais, qui sont une certitude absolue, qui nous donnent une dynamique. Où nous faisons un retour sur soi-même pour nous souvenir de ces moments de grâces qui nous stimulent, pour affronter les difficultés de la vie, la durée, la pesanteur de la vie, qui par moment peuvent nous freiner, voire nous arrêter, nous plomber.
Nous aussi, nous sommes appelés à lever les yeux vers Jésus seul, dans la solitude de notre foi. Oui, apprendre à durer dans l’âpreté du désert, la soif, la faim, la solitude.
Nous sommes appelés durant ce Carême, comme aussi dans les périodes plus difficiles de notre existence, à demeurer dans l’intimité de cet Amour – qui suppose aussi l’éloignement de beaucoup de choses, pour ne pas dire de tout – pour être centrés sur la Personne de Jésus qui seule peut nous combler. Tout le reste passe, et parfois un goût d’amertume.
Il y a un autre aspect : c’est que Jésus compte sur nous ! Nous comptons sur Jésus à juste titre, c’est une nécessité, mais Jésus compte sur nous ! Jésus ne fait pas semblant de nous aimer. Il nous prend au sérieux. Nous sommes des êtres libres, corporels et spirituels. Nous ne sommes pas des automates, nous ne sommes pas des ordinateurs (nous ne sommes pas une intelligence artificielle – qui n’a rien d’intelligent d’ailleurs !).
Nous sommes appelés à avoir cette relation de co-responsabilité avec le Seigneur ; durant ce Carême, nous sommes appelés à coopérer avec Lui. Nous ne sommes pas simplement des soldats au garde à vous, chaque fois que Jésus parle ! Jésus nous appelle à œuvrer avec Lui, et Il compte sur nous !
Jésus compte sur chacun de vous pour continuer dans le monde d’aujourd’hui sa mission qui est avant tout une mission de Salut ; comme le dit le Pape François : « l’Église n’est pas une ONG ! » (Les ONG sont très bien par ailleurs, mais l’Église n’est pas une organisation non gouvernementale qui fait du bien !) :
L’Église est le Corps du Christ, l’Épouse du Christ, et nous sommes les membres actifs pour apporter le Salut, le Salut éternel.
Pour vivre en Esprit et Vérité cette mission, nous sommes invités à demeurer enracinés dans le Christ (comme dit Paul) afin de recevoir de Lui seul, la lumière, la force, la vie, la dynamique, la paix, qu’Il veut nous communiquer et que Lui seul peut nous donner.
Nous sommes appelés dès ce matin, dès aujourd’hui, à être transfigurés, transformés par le Christ et en Lui. En nous laissant saisir par le Seigneur Jésus et toucher au plus profond de notre être. Jésus toucha les apôtres de sa main après la Transfiguration pour qu’ils sortent de cette contemplation, tout en vivant de la grâce issue de cette contemplation.
Jésus vient nous chercher. Il vient nous chercher ce matin dans la réalité de notre être, de notre vie, pour à partir de là, et pas ailleurs, nous faire gouter la puissance de sa grâce ; et nous laisser transformer au plus profond de nous-même par Lui le sauveur.
Frères et sœurs, en cette Eucharistie, faisons à nouveau le choix de Dieu. Ne soyons pas anesthésiés, à moitié endormis ! Soyons des hommes et des femmes éveillés spirituellement pour choisir ce matin Jésus, le rechoisir (actualiser notre don), comme Maitre et Guide, comme Sauveur, comme notre Dieu, comme notre frère ainé, comme source de la miséricorde divine. Cette miséricorde infinie dont le monde a tant besoin aujourd’hui, un besoin vital ; pour être à notre tour des témoins de cette miséricorde infinie, dans l’amour et la vérité, comme dit le psalmiste, l’amour de la Vérité et la vérité de l’Amour.