Chers frères et sœurs,

Lorsque le Concile Vatican II parle de la sainteté, il en donne en quelque sorte comme une définition en ces termes : « Appelés par Dieu, non au titre de leurs œuvres, mais au titre de son dessein gracieux, justifiés en Jésus notre Seigneur, les disciples du Christ sont véritablement devenus par le baptême de la foi, fils en Dieu, participants de la nature divine, et par-là même réellement saints ».

Voilà, frères et sœurs, ce que nous sommes devenus par le baptême.

L’Église, telle que nous la voyons dans son histoire, sa structure hiérarchique, le Pape, les évêques, les prêtres, les diacres, les religieux, le Saint peuple de Dieu, son enseignement et l’ensemble des moyens surnaturels, particulièrement les sacrements qu’elle met à la disposition des fidèles que nous sommes… cette Église-là n’est qu’un aspect de la véritable Église. Celle-ci, dans sa plénitude, est une réalité qui est à la fois visible et invisible. Elle est présente (cette Église) dans le monde, mais elle dépasse les limites de notre monde car elle appartient déjà à l’éternité. Au Moyen Âge, on distinguait l’Église militante, l’Église souffrante et l’Église triomphante. Seule la première, l’Église dite « militante » qui lutte en ce monde, est accessible à nos sens. C’est cette Église militante, frères et sœurs, qui œuvre, qui assure la perpétuation de la foi que nous appelons la Tradition, la perpétuation de la foi dans son intégralité. Sans elle, sans l’Église, cette foi qui a été celle de la bienheureuse Vierge Marie et que les apôtres ont reçu de Jésus-Christ, foi qui seule peut véritablement sauver, elle ne se transmettrait que de façon fragmentaire sans la Tradition ; de nombreux aspects de la foi seraient déjà perdus. On comprend bien que ce que nous appelons la « Tradition » est bien autre chose que des petites querelles liturgiques. La Tradition dans l’Église catholique, c’est ce grand fleuve qui part du cœur de la Trinité et qui nous conduit jusqu’au Royaume.

Lorsqu’un enfant est baptisé, le ministre du baptême demande aux parents : « Que demandez-vous à l’Église de Dieu ? » ; et les parents répondent : « La foi ». Puis le ministre du Sacrement poursuit : « Que vous apporte la foi ? » ; les parents répondent « La vie éternelle ».

L’Église, frères et sœurs, a aussi mission d’assurer la conservation et la transmission de tout ce que Dieu a révélé de lui-même, ainsi que l’intégralité des moyens qu’il a donnés aux hommes pour le connaître et pour accueillir le Salut et la divinisation qu’il a promis. Au point de vue catholique, l’Église est donc une médiation incontournable pour entrer dans une relation authentique avec Dieu. Elle est nécessaire pour le connaître de la manière la plus profonde et la plus vraie possible et pour accueillir le Salut qu’il nous offre. Le Concile Vatican II a synthétisé cela en ces termes : « Seul le Christ est médiateur et voie du Salut. Or, Il nous devient présent en son corps qui est l’Église et en nous enseignant expressément la nécessité de la foi et du baptême ».

Mais pourquoi frères et sœurs – me direz-vous peut-être – parler de l’Église en ce jour où nous fêtons les saints ? La réponse en est que le « je » de chaque baptisé se développe et s’épanouit dans le « nous » de l’Église. On n’est jamais chrétien tout seul ! Et on est (ou nait), en l’écrivant des deux façons, du verbe « être » ou « naître » (venir à la vie par la naissance). On n’est jamais chrétien tout seul.

Le Pape Benoît XVI aimait à dire que les saints sont la véritable interprétation de l’Écriture sainte. En effet, leur vie enseigne tel ou tel aspect de ce que Dieu a voulu nous révéler de lui-même. Un « saint François de Sales », par exemple, par sa vie, nous dit quelque chose de la douceur de Dieu. À sainte Faustine Kowalska a été confiée la mission de révéler la miséricorde divine. À sainte Thérèse de l’enfant Jésus de faire connaître sa fameuse « petite voie » pour aller au ciel. Et au saint Curé d’Ars, une manière d’être prêtre et configurée au Christ. À saint Charles de Jésus, le Père de Foucault, la dimension universelle de l’amour du prochain. On pourrait, vous le devinez, continuer longuement la liste. Chaque saint reflète un éclat de beauté, de l’intimité, de la vie, de la substance de Dieu.

Le Synode qui vient de s’achever à Rome a bien mis en relief la vocation commune à tous les baptisés, socle de l’Église : le baptême. En amont des vocations particulières de chaque membre de l’Église, le baptême et l’appel de Dieu à la sainteté pour tous les membres de l’Église sont constitutifs de l’Église. Saint Paul le dit dans sa lettre aux Éphésiens : « Il y a un seul corps et un seul esprit, de même que votre vocation vous a appelés à une seule espérance, un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui règne sur tous, agit par tous et demeure en tous ». Le curé d’Ars disait que « les saints n’ont pas tous bien commencé, mais ils ont tous bien fini ! »… Ce qui est réconfortant pour nous ! La vie des saints fut une vie comme la nôtre, qui connaît ces heures sombres, voire des abîmes d’amertume, d’obscurité. Eux aussi furent soumis comme nous au découragement. Ils ne sont pas des héros, mais des pécheurs qui ont laissé la lumière divine (ce que nous appelons la grâce) les saisir et les transfigurer, les transformer.

Saint Bernard de Clairvaux dit que : « Le saint a été un homme vulnérable, tout comme nous, formé qu’il était de la même argile que nous. Pourquoi, poursuit Bernard, alors jugeons-nous, non seulement difficile, mais impossible de faire à notre tour ce qu’il a fait et de marcher sur ses traces ».

En cette solennité de Tous les Saints, frères et sœurs, rendons grâce tous ensemble, chacun d’entre nous, pour le grand Don du baptême que nous avons reçu, cet appel à la sainteté. Demandons à l’Esprit Saint de pétrir, de transformer cette argile que nous sommes, pour qu’elle devienne habitée par l’Esprit Saint, et qu’elle resplendisse (chacun selon notre vocation propre) de la beauté et de l’amour de Dieu pour nous et pour tous les hommes.

À Lui soit tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles. Amen !

 

Frère Jean, moine de Sénanque