Chers frères et sœurs,
Nous voici aux portes de Noël, et toute l’Église se recueille en vue du grand Mystère qu’elle s’apprête à célébrer aujourd’hui : Dieu se fait homme.
Et comme toujours lorsqu’advient un grand événement dans l’histoire sainte, ce n’est pas avec trompette et tambour mais comme sur le mont Horeb où le Seigneur Sabaoth se manifeste au prophète Élie dans une brise légère, dans une voix de fin silence. Notre Saint Bernard de Clairvaux l’avait bien compris quand il disait à ses frères dans un sermon de l’Avent : « C’est le Créateur et Maître de l’Univers qui vient ; il vient vers les hommes, il vient pour les hommes, il vient homme. Il n’est donc pas venu puisqu’il était là, mais il est apparu, lui qui était caché ». Ce qui était caché devient visible, non comme dans l’éclat de la manifestation du Seigneur au prophète Isaïe qui le vit assis sur un trône élevé, des séraphins se tenant au-dessus de lui, criant l’un à l’autre ces paroles : « Saint, saint, saint est le Seigneur Sabaoth, sa gloire remplit toute la terre ». Rien de cela, frères et sœurs, en ce jour de la naissance de Jésus ; pas de séraphins, mais de simples anges (ce qui est déjà pas mal), armée céleste en masse, comme dit le texte sacré, qui chantait les louanges de Dieu et disait : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre, paix (Shalom) pour les hommes ses bien-aimés », (littéralement : « pour les hommes, objets de sa bienveillance divine) ; ou comme traduit bellement Jeanne d’Arc : « Et sur terre, paix aux hommes, car Il les aime ».
Frères et sœurs, Marie et Joseph n’en semblent pas troublés pour autant, puisque l’iconographie de tous les temps nous les montre pieusement agenouillés de chaque côté de l’enfant Jésus, en présence du bœuf et de l’âne gris qui sont là pour signifier que cet événement concerne toute la création : la création spirituelle, la création animale et même végétale, concernées par cette naissance divine. Le psalmiste l’avait déjà pressenti quand il chantait sur son psaltérion : « Que résonnent la mer et sa richesse, le monde et tous ses habitants ; que les fleuves battent des mains, que les montagnes chantent leur joie ».
J’aime à voir, frères et sœurs, comme un écho lointain de cette allégresse dans l’événement récent de la réouverture de Notre-Dame de Paris, un événement heureux dans une France morose voire inquiète de son présent et de son avenir. Dans la nuit du 7 décembre, à quelques jours du solstice d’hiver – c’est-à-dire de la nuit la plus longue de l’année – les portes de Notre-Dame de Paris se sont ouvertes, comme en cette nuit de Noël où s’est ouvert « le sein de Marie », et le peuple de Dieu a pénétré dans la douce lumière de la cathédrale se laissant envelopper d’une atmosphère qui semblait venir du ciel. Dans la grotte de Bethléem, frères et sœurs, on ne sentait plus le froid de la nuit parce que de cet enfant émanait la chaleur d’un Amour et d’une Paix que seul le ciel peut communiquer. Voilà ce qui s’est passé, voilà ce qui adviendra de nouveau en cette prochaine Nuit de Noël. Il est apparu, Lui qui était caché ! Le récit que nous venons d’entendre, frères et sœurs, de la visitation de Marie à sa cousine Élisabeth, anticipe déjà cette douce joie de la Nuit de Noël. Tout exulte dans ce récit.
Tout d’abord Marie, dont le texte sacré nous dit que : « En ce temps-là, elle partit en toute hâte (avec empressement) dans la région montagneuse, dans une ville de Judée ». Et quelle ne fut pas ma surprise quand je découvris que l’expression, somme toute assez banale, du début de cet évangile, « en ces jours-là », est la traduction du mot grec « Anastasis », qui est le terme grec employé par les évangiles pour désigner la résurrection de Jésus :
Anastasis… Dans la hâte de Marie, courant vers la maison de sa cousine Élisabeth à Ain Karim, il y a quelque chose, je dirais, de « résurrectionnel ». On songe à la course de la « bien-aimée » du Cantique des cantiques, qui part, qui court sur les collines, au-devant de son bien-aimé, qu’elle cherche avec passion ; « Je cherche mon bien-aimé, celui que mon cœur aime ».
Anastasis… On songe à Pierre et à Jean courant vers le tombeau au matin de Pâques.
Anastasis… On songe à la Samaritaine courant vers sa ville de Sychar pour dire, elle aussi, aux habitants de la ville : « j’ai trouvé celui que mon cœur aime ».
Et nous, frères et sœurs, cet événement de la Nativité du Verbe de Dieu, nous fait-il courir vers la grotte de Bethléem ? C’est une course qui n’est pas à l’aune de l’âge de nos artères, mais la course de « Celui que notre cœur aime ». C’est la course de l’amour qui se laisse emporter. « Là où l’amour t’emporte, dit Jean de la Croix, ne demande pas où il va ».
La nuit la plus longue de l’année est passée, il y a deux jours : solstice d’hiver. Chaque jour, l’obscurité décroît et le jour grandit. Dans la maison d’Elisabeth et de Zacharie, à l’heure où Marie en franchit la porte, il fait jour. Là où Marie est là avec son enfant, il fait jour ! La nuit est dissipée.
« Marie, Demeure du Verbe fait chair, accueillie selon l’ordre des choses, dit Saint-Ambroise, par sa cousine Elisabeth, provoque le tressaillement de Jean dans le sein de sa mère, en raison du mystère. Elisabeth, poursuit l’évêque de Milan, fut la première à entendre la parole, mais Jean fut le premier à ressentir la grâce ».
Et nous, frères et sœurs, qui vivons aujourd’hui sous le régime de la grâce, apportée en notre monde par la naissance, la vie, la mort, la résurrection de cet enfant de Bethléem, nous chanterons à la Messe de Minuit ces paroles (à l’entrée de la Messe) : « Ta grâce et ta vérité sont clarté dans notre nuit. Garde-nous, ô Seigneur Christ, de choisir l’obscurité ».
Dans la nuit de Pâques, par trois fois, le cierge allumé est élevé par le diacre, accompagné de cette acclamation : « Lumière du Christ », « Lumière du Christ ». Sans attendre Pâques, frères et sœurs, c’est déjà la lumière pascale qui pétille, en cette Nuit de Noël ; qu’elle nous illumine et nous réchauffe, ; et qu’elle réchauffe, qu’elle illumine ce qui en nous ne demande qu’à s’éveiller et à sortir de la torpeur.
Qu’il en soit ainsi. Amen.