Chers frères et sœurs,
Jour de joie aujourd’hui, puisque c’est la Solennité de la Nativité du Seigneur ; c’est aussi le jour inaugural de l’année jubilaire de la Rédemption où le Pape François ouvre (aujourd’hui) solennellement les portes des Basiliques patriarcales de Rome.
Rayonnement de la gloire de Dieu, expression parfaite de son Être : c’est en ces termes que la Lettre aux hébreux parle de Jésus, Dieu fait homme, qui porte l’univers par sa Parole puissante. « C’est par Lui que tout est venu à l’existence et rien de ce qui s’est fait, ne s’est fait sans lui. En lui était la vie ; et la vie était la lumière des hommes ».
Toutes les paroles de l’Écriture que nous entendons en ce jour, nous plongent dans un Mystère qui nous dépasse… qui nous dépasse mais qui ne nous écrase pas ! Ce mystère de Dieu fait homme qui nous rejoint au plus profond de nous-mêmes, éveillant en nous une source qui désire Dieu et qui ne demande qu’à jaillir.
Curieusement – nous venons de l’entendre – l’apôtre Jean nous dit que « la vie était la lumière des hommes » : mettant la vie avant la lumière ; comme s’il voulait nous signifier que « vouloir tout comprendre » de ce mystère (avant d’agir et de faire) reviendrait à placer la lumière avant la vie. Or, l’expérience nous montre, dans notre chemin de foi, qu’il nous faut bien souvent poser des actes intérieurs ou extérieurs sans tout comprendre. La puissance de l’Esprit Saint qui travaille en nous, nous pousse à nous donner sans mesure et nous recevons bien souvent la lumière peu à peu, au fur et à mesure que nous allons de l’avant.
Quand nous disons que Noël est un Mystère, cela signifie que cet événement de la naissance de Jésus est un sacrement (ce mot de sacrement étant la traduction latine du mot grec mustêrion : mystère). On fait mémoire de l’événement historique de la naissance de Jésus, mais de manière à l’accueillir saintement pour qu’il nous transforme. Aujourd’hui, frères et sœurs, le Seigneur est né à Bethléem. Pour ceux qui ne le savent pas, c’est une naissance comme les autres, une naissance ordinaire : un enfant est né. Qu’aurions-nous su de cet événement si ce n’était les anges l’annonçant aux bergers de Bethléem ? Si ce n’était l’étoile conduisant les mages jusqu’à la maison où Jésus habitera avec sa mère et avec Joseph ?
Il faut bien reconnaître que toute naissance est toujours un mystère, un miracle. Par l’union de l’homme et de la femme vient au monde un être nouveau qui, comme tout être humain venant au monde, est porteur de l’image de Dieu. Il y a en lui un mystère infini, le mystère d’une ressemblance déjà donnée et qui doit encore se parfaire, car c’est une ressemblance avec Dieu !
Mais, frères et sœurs, c’est différent pour cet homme qui naît aujourd’hui à Bethléem. Il n’est pas seulement « à l’image de Dieu », il est l’Image elle-même ! Jésus est l’image, l’archétype, le prototype, à la ressemblance duquel nous sommes tous appelés à nous conformer. Comme disent à l’envi les Pères de l’Église : « le Christ est l’image ; nous, nous sommes selon l’image ».
Quand nous disons, « il s’agit de naître nous aussi avec lui », comme dit saint Léon : « la naissance du Christ, c’est le commencement du peuple chrétien ; c’est le jour anniversaire de la Tête, mais aussi du corps ».
Cette venue historique du Verbe de Dieu parmi les hommes n’est qu’un commencement, comme toute naissance. Il faut maintenant que le Verbe de Dieu naisse en nos âmes. Après le silence éternel où la Parole était dans le sein du Père, après le silence de la Nuit de Noël, voici un troisième silence : le recueillement de la nuit dans le fond de l’âme qui doit accueillir le Sauveur. « Ah, si seulement nos cœurs pouvaient devenir crèches, suppliait le mystique Angelus Silesius, Dieu, une fois encore sur terre, deviendrait enfant ».
Oui, frères et sœurs, le christianisme, c’est le Chemin, c’est la voie de Dieu qui descend vers l’homme, et de l’homme qui retrouve le chemin vers Dieu. « Chrétien, reconnais ta dignité, disait encore le Pape Léon, rappelle-toi qui est ton Chef et de quel Corps tu es le membre ».
Quelqu’un a dit que « Noël, ce n’est pas une date dans le calendrier, c’est un état d’esprit ». C’est bien sûr un émerveillement devant la grandeur du Mystère qui s’accomplit parmi nous, mais c’est aussi un appel à imiter, à se laisser saisir par cet amour qui s’abaisse, et que les Pères de l’Église appellent la condescendance divine.
Le christianisme, disions-nous, est la religion de Dieu qui descend vers l’homme. Il est aussi la religion de la Parole de Dieu, non pas une parole écrite et muette, mais celle du Verbe incarné et vivant. Dans la tradition du Moyen-Âge, on utilise une formule particulière pour exprimer cela. On dit que Jésus est le Verbum abbreviatum : la parole qui s’est rapetissée, qui se fait petite. En Jésus, toute la Parole de Dieu est présente. Il en est le Livre ouvert.
Lors des séances des conciles œcuméniques (à Rome depuis des siècles), on laisse ouvert le Livre des Écritures sur un siège qui préside l’Assemblée, signifiant que celui qui préside l’Assemblée des évêques, c’est Jésus lui-même, Parole à laquelle se réfèrent toutes les paroles qui seront proférées dans l’Assemblée.
Il est né enfant afin de pouvoir être donné aux enfants, dira le bienheureux Guerric d’Igny, moine cistercien.
La célébration de Noël est bien le renouvellement de cette grâce, de la naissance et d’enfance spirituelle, dans le cœur des croyants. Une antienne latine de la fête chante Puer natus est nobis innovandis : un enfant nous est né qui nous rajeunit.
Nous, frères et sœurs, qui vivons dans la certitude, dans la connaissance que Jésus est déjà venu, sommes-nous pour autant privés de l’attente ? Est-ce que Jésus est pour nous le Jésus du passé, il y a 2000 ans, dont on se souvient aujourd’hui avec douceur et avec émotion ?
Le Messie n’est pas comme un événement du passé derrière nous, mais devant nous. Nous avons chanté pendant tout l’Avent : Maranatha ! Viens Seigneur Jésus ! Son règne doit s’accomplir dans le monde et en nous.
Le Livre de l’Apocalypse dit : « l’Esprit et l’Épouse disent : Viens, Maranatha ».
Au ciel il n’y aura plus de temps mais pour le moment, nous vivons dans l’attente où nous sommes.
Nous ne pouvons que gémir dans l’Esprit Saint avec l’Église entière : oui, viens, Seigneur Jésus. Oui, viens vite. Amen !