Bien chers frères et sœurs, nous entendons aujourd’hui les Béatitudes selon Saint-Luc, qui sont au nombre de quatre. Nous les trouvons aussi avec l’évangéliste Matthieu dans le Sermon sur la montagne, au nombre de huit béatitudes.

Ce mot de « béatitudes » résonne peut-être de façon curieuse pour l’oreille de l’homme de notre temps. Que signifie ce mot étrange ? « Béat » … « béatitudes » … On voit se dessiner l’image du repos immobile, de l’absence de soucis. En bref, un état oscillant entre ce que nos contemporains nommeraient volontiers un état « zen », dont on ne sait pas très bien où il conduit, si ce n’est dans une fuite, du moins pour un temps, de l’âpre réel. Non, il en est tout autrement de la Béatitude chrétienne. Saint Augustin dit que : « la béatitude, c’est la joie qui nous vient de la vérité ». Quant à ce que nous appelons « les Béatitudes », elles sont essentiellement « kérygmatiques », à savoir qu’elles sont l’essentiel, la proclamation de l’essentiel de l’évangile, concentré en son fruit qui est d’un seul tenant : le Christ, en sa Personne. Règne de Dieu. Communication de la vie divine. Oui, les Béatitudes conduisent l’homme vers Jésus, et en les conduisant vers Jésus, elles les introduisent dans le Royaume des cieux. Les Béatitudes ne disent pas tout de l’évangile, de même que le Credo, que nous allons proclamer dans un instant, ne dit pas le tout de la foi chrétienne. Mais l’un et l’autre disent suffisamment pour que celui qui entend les Béatitudes, et qui les met en pratique dans sa vie, possède la vie éternelle.

On pourrait appliquer, à celui qui entend les Béatitudes, la Parole de Jésus au scribe qui lui disait « qu’il observait les 10 commandements et qu’il aimait son prochain », et Jésus de lui dire : « fais cela et tu vivras ! ».

Eh bien, il en est de même aujourd’hui avec les Béatitudes : Non seulement écoute-les, nous dit Jésus, mets-les en pratique et tu vivras. « Tu vivras », c’est-à-dire tu entreras dans la vie éternelle.

En effet, frères et sœurs, c’est que les Béatitudes nous disent avant tout quel est le vrai visage de Jésus. « Bienheureux les pauvres », le pauvre c’est lui, Jésus ! « Celui qui a faim », c’est lui, Jésus ! « Celui qui pleure sur l’homme loin de Dieu », c’est lui, Jésus ! « Celui dont le nom est rejeté comme méprisable », c’est son nom à lui, Jésus ! « Celui qui tressaille de joie parce que par sa résurrection, il est pour toujours auprès de son Père », c’est lui, Jésus.

Nous comprenons bien que les Béatitudes ne s’entendent et ne se définissent que par rapport à la Personne de Jésus-Christ. Si nous vivons des béatitudes, nous imitons Jésus et nous lui ressemblons. Il devient lui-même, en sa Personne, l’ultime béatitude. On pourrait ajouter : « Bienheureux, ceux qui suivent Jésus et qui lui obéissent, le Royaume des cieux est à eux ».

En Matthieu, on trouve la béatitude de la miséricorde : « Bienheureux les miséricordieux, il leur sera fait miséricorde ».

L’un de nos Pères dans la vie monastique, Saint Dorothée de Gaza, au IIIe siècle, commente : « Le Seigneur n’a pas dit : « jeunez comme votre Père Céleste, ni soyez pauvre comme votre Père Céleste est pauvre », mais il a dit : « soyez miséricordieux ». C’est spécialement cette vertu qui imite Dieu, elle est le propre de Dieu ».

Les Béatitudes sont avant tout un chemin de bonheur. L’homme est créé pour le bonheur. Et le bonheur, c’est avant tout de connaître Dieu, de l’aimer, de le contempler et de le suivre en son Fils bien-aimé Jésus, Dieu fait homme.

« L’homme, désire être heureux, même quand il vit d’une manière telle qui rend le bonheur impossible » dit Saint Augustin.

« Et si l’homme n’est pas fait pour Dieu, pourquoi n’est-il heureux qu’en Dieu ? Si l’homme est fait pour Dieu, pourquoi est-il si contraire à Dieu ? » dit Blaise Pascal.

Les Béatitudes que nous venons d’entendre, oui, sont un chemin de bonheur. Ce chemin, c’est celui que des générations de chrétiens parcourent depuis plus de 2000 ans : chemin de la sainteté, chemin des béatitudes, chemin qui fait les saints !

« Je sentais que le bonheur était proche, humble comme un mendiant et magnifique comme un roi. Il est toujours là (mais nous n’en savons rien) frappant à la porte pour que nous lui ouvrions et qu’il entre et qu’il soupe avec nous » écrit plus proche de nous l’écrivain Julien Green. Nous reconnaissons là le livre de l’Apocalypse : « Je me tiens à la porte et je frappe ».

Les Béatitudes, toutefois, ne sont pas un chemin de facilité. Elles sont le chemin emprunté par Jésus lui-même ; chemin fait de la sueur de son incarnation qui, de Nazareth passe par Jérusalem, le Mont des Oliviers et le Mont du Golgotha. Mais celui qui met en Lui sa confiance et sa foi est « est semblable à un arbre planté près des eaux, qui pousse, vers le courant, ses racines » nous rappelait le prophète Jérémie dans la première lecture, repris par le psaume.

Un saint, le Père de Foucault, saint Charles de Jésus, avait bien compris cela, lui qui lors de son séjour en terre sainte après sa conversion, avait eu le projet fou, comme il en eut au cours de son existence, d’acheter le Mont des Béatitudes, cette colline supposée où Jésus avait proclamé les Béatitudes. Saint Charles de Jésus avait compris avec acuité que s’il voulait ressembler à Jésus, l’imiter, les Béatitudes en étaient le porche d’entrée, le Chemin royal.

Les Béatitudes, chemin de bonheur, on peut poser trois questions : Comment le bonheur est-il inscrit dans notre nature humaine ? En quoi consiste le bonheur ? Que deviendra notre condition humaine dans la béatitude divine ?

À la première question, comment le bonheur s’inscrit dans la nature humaine, on peut répondre que oui, le bonheur est inscrit dans la nature humaine de tout homme, parce que Dieu nous a créés à son image, c’est-à-dire : porteur de la joie trinitaire dont nous sommes participants dès l’origine de notre existence.

En quoi consiste ce bonheur ? En l’accueil de la vie divine manifestée dans le Don que Dieu nous fait en son Fils Unique, le Verbe fait chair.

Et que deviendra notre condition humaine dans la béatitude divine ? Elle trouvera son plein épanouissement après avoir été purifiée par notre vie ici-bas.

En effet, nous le savons, frères et sœurs, l’évangile n’est pas une Parole qui fait faire l’économie des limites, des souffrances, voire de la mort.

Mais les Béatitudes nous disent que la Béatitude, ou comme dit Saint-Jean, la vie éternelle (c’est l’équivalent), est déjà commencée ici-bas, certes encore cachée, car comme dit Paul : « notre droit de cité est dans les cieux ».

Les Béatitudes, frères et sœurs, nous disent que nous sommes ici-bas des pèlerins, des voyageurs habités par cette espérance que cette année jubilaire nous appelle à laisser grandir en nous… « l’Espérance qui ne déçoit pas ». Amen.

Historique de nos Homélies