Homélie de la Nativité du Seigneur – Messe du Jour – 2020 – Année B
Par le Frère Jean
Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur. Le style oral a été conservé.
Chers frères et sœurs,
Il aura fallu cette crise que nous traversons, non seulement sanitaire mais sociétale et même ecclésiale puisqu’elle a de grandes répercussions sur la vie de l’Église, pour entrer dans ce Noël 2020 avec les dispositions intérieures que nous devrions toujours avoir lorsque nous nous approchons de Dieu, c’est-à-dire avec une âme de pauvre.
En effet, tout nous parle dans cette solennité, de pauvreté et d’humilité. Ces deux vertus chrétiennes sont la porte royale par laquelle on entre dans le Mystère de Dieu. Lorsque Jésus dit qu’Il est « le chemin, la vérité et la vie », c’est ce chemin de pauvreté qui s’enracine dans la grotte de Bethléem, et qui culmine dans le Christ, au Golgotha, dépouillé de ses vêtements : Ecce homo… voici l’homme.
Il est significatif que pour pénétrer dans la Basilique de la Nativité à Bethléem, il faille se courber, s’abaisser, pour passer la porte !
Il nous faut retrouver le paradoxe et le scandale contenus dans l’affirmation « le Verbe s’est fait chair ».
Un païen du IIème siècle, le philosophe Celse, s’exclamait avec horreur : « l’Éternel Logos Un »… « D’hier ou d’avant-hier ? »… « Un homme né dans un village de Judée, d’une pauvre fileuse… ».
Il ne faut pas s’en étonner ! La parfaite union de la divinité et de l’humanité, dans la Personne du Christ, était la plus grande de toutes les nouveautés possibles : « la seule chose neuve sous le soleil » comme l’a défini St Jean Damascène.
Le premier grand combat, que la foi au Christ a dû mener dès les origines de l’Église, n’était pas celui de l’affirmation de la divinité du Christ mais bien celle de son humanité et de la Vérité de l’Incarnation. À l’origine de ce rejet, il y avait le dogme de Platon selon lequel, je le cite : « La nature divine n’entre jamais en communication directe avec l’homme ».
Le grand St Augustin, lui-même, a découvert combien cela lui fut difficile avant sa conversion. Il écrit dans ses confessions : « Je n’étais pas humble pour connaitre mon humble maitre Jésus Christ ».
Son expérience nous montre la Voie : la voie à suivre pour abandonner l’orgueil, et accepter l’humilité de Dieu ; l’humilité de Celui qui nous a dit dans l’Évangile : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange ; ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux touts petits ».
L’humilité (j’entends la véritable, non sa caricature !) est la clé pour entrer dans le Mystère de l’Incarnation que nous célébrons aujourd’hui.
Nous savons d’expérience qu’il n’y a pas besoin de beaucoup de force pour se faire remarquer, mais qu’à l’inverse, il en faut beaucoup pour se mettre à l’écart et s’effacer… Eh bien c’est cela que Dieu a fait, et fait en ce jour.
Il a cette force infinie de se cacher ! Comme l’écrit Paul : « Il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, il s’est abaissé, devenant esclave jusqu’à la mort, et la mort de la Croix. »
Dieu est amour, c’est pour cela qu’il est l’humilité ! L’humilité faite chair.
L’amour créée une dépendance à l’égard de l’être aimé. Dépendance qui n’humilie pas, mais qui rend heureux ! « Devenez mes disciples »… dit encore Jésus… « car je suis doux et humble de cœur ».
L’humilité, frères et sœurs, consiste à se faire petit, et à s’abaisser par amour pour élever les autres… en ce sens, de vraiment humble, il n’y a « que » Dieu !
Ce sera probablement notre plus grande surprise lorsque nous le verrons, lorsque nous arriverons face à face en sa Présence !
« Qui est comme Dieu ? »… dit un psaume… « Qui est comme le Seigneur notre Dieu ? Lui qui s’élève pour siéger, et s’abaisse pour voir cieux et terre ! De la poussière il relève le faible, du fumier il retire le pauvre ».
Le contexte dans lequel nous vivons en ces jours, en ces mois, est une mise à l’épreuve qui est une grande occasion (un Kairos), grande occasion de nous convertir et de retrouver plus d’authenticité en nos vies.
Comme le rappelait le Pape François, le 27 mars dernier, seul, sur le parvis de la Basilique St Pierre, je le cite : « La tempête où nous sommes, démasque notre vulnérabilité, et révèle ces sécurités fausses et superflues avec lesquelles nous avons construit nos agendas, nos projets, nos habitudes, nos priorités ».
La crise que nous traversons, et c’en est bien une, est une chance, si nous savons l’accueillir. Comme le rappelle la racine étymologique du verbe grec krino, la crise est ce tamis qui nettoie le grain de blé après la moisson. La Bible est elle-même remplie de personnes qui, elles aussi, ont été « passées au crible », ont été « en crise », mais qui, grâce à ces crises, ont accompli l’histoire du Salut :
qu’on pense à Abraham… « Sacrifie ton fils ! »…
à Moïse… « Je ne sais pas parler ! »… « Quand même, va vers le pharaon ! »…
Elie, qui fuit la persécution de Jézabel… Jean-Baptiste, en prison, qui se sent abandonné… Paul de Tarse… et tant d’autres.
Chacun d’eux a été poussé – et nous à leur suite – à abandonner leurs sécurités pour répondre à l’appel de Dieu, pour suivre Jésus.
Jésus, lui-même, a fait l’expérience de cette faiblesse dans la chair, de la vulnérabilité, de l’état de crise, au sens positif du terme : les quarante jours au désert, la peur et l’angoisse à Gethsémani, et sur la Croix, le sentiment d’être abandonné par son Père…
Au milieu de nous, au milieu de son Église, Dieu continue de faire grandir les semences du Royaume.
Si nous comprenons que le temps de la crise que nous traversons est un temps de l’Esprit Saint : alors même devant l’expérience, que nous vivons tous, d’une façon ou d’une autre, de l’obscurité, de la faiblesse, de la fragilité, de la peur de l’avenir, des contradictions et de l’égarement que nous traversons, nous ne nous sentirons plus écrasés !
Nous savons, comme le dit Sirac le Sage, que « l’or est vérifié par le feu et les hommes agréables à Dieu, par le creuset de l’humiliation ».
Nous voyons sous nos yeux une fin, et en même temps dans cette fin, dans ce monde qui semble s’écrouler, se manifeste un nouveau commencement !
C’est cela la grâce de Noël ! Nécessité pour nous tous de mourir à une manière d’être, de réfléchir et d’agir, qui ne reflète pas toujours l’Évangile… C’est alors que peut naitre en nous la nouveauté que l’Esprit suscite constamment dans le cœur de l’Église et que nous appelons la « metanoia » : la conversion, le retournement.
Rendons grâces, frères et sœurs, en ce jour de Noël, au nom de tous ceux en place, de tous ceux qui sont accablés par le temps présent, qui n’ont pas d’espérance ; et faisons à Dieu, Père, Fils né de Marie et Esprit Saint, l’offrande de nos vies, afin que soit toujours plus manifesté en ce monde, qu’Il est la source et la fin de tous ceux qui cherchent le bonheur.
De même que Jean Baptiste fit reconnaitre le Christ dans l’humilité de la chair à ses contemporains, il est nécessaire aujourd’hui, de le faire reconnaitre dans la pauvreté et la misère de son Église, et dans la pauvreté et la misère de nos vies même.
Écoutons les trompettes des Anges qui sonnent aujourd’hui en chantant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes… objets de cette bienveillance ».
Cette bienveillance, nous la recevons pour chacun d’entre nous, et nous sommes appelés à la transmettre à tous ceux que le Seigneur met sur notre route, pour que tout homme et toute femme en ce monde, puisse aujourd’hui accueillir quelque chose de la douce Lumière de la Paix de Noël.
Amen !