Chers frères et sœurs,
Peut-être connaissez-vous de nom saint Augustin, le fils de sainte Monique au cinquième siècle, un berbère, évêque de la ville d’Hippone, aujourd’hui Annaba, en Algérie, l’un des génie de la pensée chrétienne. Et Augustin, à une période de sa vie écrivit un célèbre livre : un traité de la Trinité. Aujourd’hui, c’est une grosse brique de 400 pages ! Et la légende raconte qu’Augustin, par une belle soirée, se promenait, marchait sur la plage en réfléchissant au mystère de la Trinité. Il réfléchissait profondément en se demandant comment un seul Dieu pouvait exister en trois Personnes distinctes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Et tout à coup, voici que Augustin voit un petit garçon qui jouait sur la plage… L’enfant avait creusé un trou dans le sable et s’efforçait de remplir le trou avec de l’eau de la mer en utilisant une coquille (comme aiment à faire les enfants). Intrigué, Augustin s’approche et demande à l’enfant ce qu’il faisait. L’enfant répondit qu’il essayait de vider la mer dans le trou qu’il avait creusé ! Augustin lui expliqua que cela était impossible parce que la mer était trop vaste et le trou trop petit. L’enfant, qui était en réalité un ange envoyé par Dieu, répliqua alors : « De même, vois-tu Augustin, il est impossible pour ton esprit de comprendre le mystère de la Trinité avec ta compréhension humaine limitée ».
Et bien, frères et sœurs, cette histoire (bien qu’une légende, comme vous l’avez deviné) met en lumière la profondeur et la complexité du mystère de la Trinité qui, toutefois, demeure un mystère central de la foi chrétienne. La Trinité qui enseigne que Dieu est une essence, est Un en essence, mais trois en Personne, est une réalité qui dépasse la compréhension humaine.
Cette histoire du sable et de la Trinité est une leçon pour nous sur l’humilité intellectuelle que nous avons à voir face au mystère divin. Elle illustre l’enseignement de Saint Augustin qu’on trouve partout dans son œuvre, selon lequel, bien que nous puissions chercher et que nous avons le devoir de chercher à comprendre Dieu avec notre raison, il y a bien des vérités qui dépassent notre capacité de compréhension et qui doivent être acceptées par la foi.
L’une des convictions de nos pères dans la foi, que nous appelons les Pères de l’Église, frères et sœurs, est que l’homme est à l’image de Dieu, à l’image de la Trinité. Et je dis l’homme, avant même le baptême, tout homme, toute femme venant au monde de par l’acte créateur de Dieu, est à l’image de Dieu-Trinité. Il l’est par son intelligence, par sa liberté, par son immortalité (nous croyons que l’âme est immortelle), par sa capacité de domination sur la nature ; « Mais encore, disent les pères de l’Église et surtout en fin de compte, par ce qu’il y a d’incompréhensible en lui, au fond de lui ». L’intelligence humaine qui est capable de saisir bien des choses sur lui-même (l’homme) et sur Dieu, mais pas tout. « Saisir l’inaccessible, dit quelque part Augustin, il s’agit de saisir l’inaccessible sans chercher à le saisir ni à l’expliquer » : c’est-à-dire sans chercher à mettre la main dessus ; on ne met pas la main sur Dieu, mais c’est bien plutôt Dieu qui met la main sur nous !
L’acte de comprendre : comprendre le Mystère de Dieu comme comprendre les mystères de la vie, l’acte de comprendre, de par sa nature, dépasse continuellement notre capacité naturelle. En fin de compte, il nous faut reconnaître que c’est nous qui sommes saisis et compris par plus grand que nous. C’est pourquoi il est juste de parler de Mystère ! Le mystère dans le langage spirituel, surnaturel, c’est pas quelque chose qu’on ne peut pas comprendre, c’est une réalité qu’on n’a jamais fini de comprendre.
À l’origine de notre être, frères et sœurs, il y a la Présence de Dieu qui nous a voulus tels que nous sommes et qui nous a voulus – il est important de le dire et de le redire – qui nous a voulus par un acte d’amour gratuit. Nous n’avons pas été projetés en ce monde par une chiquenaude initiale puis laissés à nous-mêmes, non ! Mais, de par notre création par Dieu, il y a une relation fondamentale à Dieu de tout homme, qui fait que tout homme est un être en devenir. Un être qui est appelé à la ressemblance de Celui qui l’a créé, qui est appelé tout au long de son existence à consentir lui-même, ou à ne pas consentir, à son appartenance foncière à Dieu.
La grandeur de la Trinité, frères et sœurs, nous amène à l’humilité de notre condition humaine. Il y a plus grand que nous, et heureusement ! C’est le paradoxe de la foi chrétienne : être dépendant de Dieu, c’est être libre !
Quand nous contemplons les trois Personnes divines (pour autant qu’on y parvienne), nous voyons que cette dépendance existe à l’intérieur même de la Sainte Trinité. Saint Augustin a cette belle formule lorsqu’il veut expliquer le mystère de la Trinité, lorsqu’il dit : « Le Père est l’aimant (la source de l’amour), le Fils est l’aimé (celui qui est aimé), et l’Esprit Saint est l’amour qui unit le Père et le Fils ».
Oui, frères et sœurs, tout notre être est fondamentalement marqué par cela, par cette structure trinitaire. Chacun de nous a en soi le reflet de cette communion d’amour qui est Dieu. Grand mystère de l’unité de Dieu, de l’unicité de Dieu et de la communion ; trois Personnes qui sont indépendantes mais qui existent l’une à travers l’autre, l’une par l’autre. Les Grecs ont ce mot de « Périchorèse » : la vie circule entre les personnes divines. En Dieu, la vie ne cesse de circuler ; en l’homme aussi, en nous et entre nous. Le péché, c’est ce qui fait obstacle à cette circulation d’amour et de vie entre Dieu, entre nous et les autres.
Le Christ Jésus sur terre parmi nous a vécu cette communion continuelle avec le Père et l’Esprit Saint. Souvenez-vous de toutes ses paroles dans l’Évangile, particulièrement en saint Jean, où Jésus le dit : « Je ne fais rien sans être sous le regard de mon Père » … Mon Père et moi, nous sommes toujours à l’œuvre ».
Le catéchisme de l’Église catholique dit que dans son âme, comme dans son corps, le Christ Jésus exprime humainement les mœurs divines de la Trinité, c’est-à-dire la vie qui circule éternellement entre le Père, le Fils et l’Esprit Saint.
Et, frères et sœurs, de par notre humanité, nous sommes englobés, nous sommes insérés dans cette grande communion trinitaire. Nous ne sommes jamais seuls !
L’homme, disions-nous, est un être portant le reflet de l’intelligence divine. On peut se poser la question : à quoi croyons-nous ? Pourquoi croyons-nous ? Saint-Jean de la Croix écrit : « Cherche à te contenter, non de ce que tu comprends de Dieu, mais de ce que tu ne comprends pas encore en lui. C’est cela, chercher Dieu en la foi ».
En effet, frères et sœurs, l’Église a toujours maintenu que l’acte de foi est possible parce que c’est un acte qui est conforme à l’intelligence et à la raison – pas besoin d’être stupide pour être ‘catho’, si on peut dire. La vérité de la foi et celle de la raison ne se contredisent jamais. Le Saint Pape Jean-Paul II a écrit une magnifique encyclique sur le sujet intitulée « La foi et la raison ».
La foi chrétienne a toujours affirmé qu’entre nous et Dieu, qu’entre son Esprit créateur éternel et notre raison créée et limitée, il existe une réelle analogie, un vase communiquant, dans laquelle les dissimilitudes sont infiniment plus grandes que les similitudes. Saint Augustin qui dit encore, de cette façon lapidaire dont il a le secret : « Si tu comprends, ce n’est pas Dieu ! ». Croire en Dieu, frères et sœurs, adhérer en disciple à son Fils Jésus, se laisser conduire par le souffle de l’Esprit, voilà le chemin qui s’offre à chacun de nous.
Le mystère de la Trinité que nous célébrons aujourd’hui est avant tout un mystère d’amour. C’est lui qui circule entre les Personnes divines ; les Personnes divines qui ne se font pas concurrence les unes par rapport aux autres mais qui s’affirment réciproquement.
Très concrètement, cela veut dire, frères et sœurs, que chacun de nous est appelé à se former tout au long de son existence (chacun selon ses capacités, selon sa mesure), pour connaître ce Dieu qui s’est révélé à nous en Jésus-Christ. Et pour nous, l’unique médiateur, l’unique médiateur entre Dieu et nous, c’est Jésus-Christ qui nous révèle qui est le Père.
Redisons pour terminer les cinq essentiels de la vie chrétienne aujourd’hui : avoir une vie de prière ; cultiver la vie fraternelle, en premier lieu avec nos frères dans la foi comme nous y invite Saint-Paul ; se former pour toujours mieux comprendre et aimer ce à quoi nous croyons, et pourquoi nous croyons ; quatrième essentiel, avoir le souci du service et des plus pauvres ; et enfin, témoigner par notre vie, et aussi lorsque l’occasion s’en présente par la parole, de la beauté de la vie avec Dieu et de la joie de vivre avec Lui.
« Tu vois la Trinité, dit encore Augustin, quand tu vois la Charité ».
Laissons-nous, frères et sœurs, saisir par le Christ qui nous a révélé et ouvert le chemin vers le Saint de Dieu, vers le Saint du Père, à qui soit rendu tout honneur et toute gloire avec son Fils bien-aimé dans le feu de son Esprit, Amen !