Homélie de la Transfiguration du Seigneur – Vendredi 6 août 2021 – Fête – Année B

Par le Père Paul Scolas, Diocèse de Tournai – Belgique

Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur. Le style oral a été conservé.

 

Ce récit est une charnière ; il est même la charnière dans chacun des trois évangiles synoptiques et spécialement dans l’Évangile de Marc que nous lisons cette année.

Cet évangile annonce tout dès l’entame : les premiers mots, ce sont « évangile » précisément, donc : « Bonne Nouvelle » : c’est quelque chose de bon ! Évangile de Jésus – un homme ! – Christ, Fils de Dieu. !

Puis il y aura la grande proclamation de Jésus, brève mais très forte : « Les temps sont accomplis, le règne s’est approché ». Cela demande une metanoïa : un retournement de la façon de voir, ce que nous appelons souvent : une conversion, mais qui devient facilement alors une conversion morale… c’est bien plus que cela, bien plus profond que cela.

Et puis, Jésus fait des signes, Il a quelques paroles – pas très nombreuses mais fortes – quelques paraboles, et surtout, curieusement, une invitation au silence sur ces grands titres proclamés au début : Christ, Fils de Dieu ; car il y a un risque de se méprendre du tout au tout, sur la portée de ces titres.

Alors, vient une séquence centrale, à la fin de laquelle se trouve ce récit étonnant, fort, captivant d’une certaine façon, mais en même temps mystérieux, que nous appelons : la Transfiguration. Elle vient à la fin d’une séquence, le récit commence d’ailleurs par « six jours plus tard » mais la traduction officielle n’a pas repris cela, elle a simplement dit « en ce temps-là ».

On est six jours plus tard, de ce moment où Jésus interroge : « Que disent les gens ? Pour vous qui suis-je ? » ; Il n’impose pas une identité mais Il interroge. Nous connaissons la réponse de Pierre (nous avons entendu hier, par le hasard du calendrier, la version de Matthieu) ici, elle est plus simple, Pierre dit simplement (mais ce n’est pas rien) : « Tu es le Christ ; le Oint de Dieu, le Messie de Dieu ». Ce Christ, dit alors immédiatement Jésus, il sera Christ, il accomplira le règne de Dieu, il accomplira la promesse, les temps, en étant rejeté ! Rejeté pas simplement par l’occupant romain (ça serait plus simple à comprendre), mais par les autorités religieuses que Jésus reconnait lui-même.

Il sera mis à mort et ressuscitera. La perspective de l’évangile de la Bonne Nouvelle reste ouverte mais à travers un chemin complètement étonnant, renversant.

C’est comme cela que Jésus sera le Christ, c’est comme cela qu’Il inaugure le règne.

Et Pierre cale ! Nous le savons. Et combien nous pouvons comprendre que Pierre cale, si nous entrons un peu dans ce chemin ; j’imagine (j’espère presque), qu’il nous arrive nous aussi de caler devant ça, sinon nous n’en avons pas compris la profondeur.

Pourtant ce chemin-là est bien le chemin de la vie pleine, de ce que Jean appelle « la vie éternelle », du règne, de la résurrection, ce mot qui revient plusieurs fois dans ce récit.

Vient alors, ce moment si particulier et rare de révélation au petit cercle des trois, Pierre, Jacques et Jean, que Jésus emmène avec Lui, à des moments où il est question – pas seulement en théorie mais en pratique – de mort et de vie auprès de la petite fille de Jaïre, puis au moment de Gethsémani. Et ces trois-là sont là, non pas parce qu’ils sont plus subtils que les autres : ils sont même présentés comme peu subtils pour entrer dans la conversion ici !

Ils sont demeurés lents à croire. Pierre, nous connaissons son chemin ; Jacques et Jean, à la deuxième annonce du chemin de Jésus, de la passion de Jésus, feront des manœuvres pour essayer d’être les plus proches de Jésus, lorsque son règne viendra. Ils sont donc lents à croire et à comprendre.

Jésus pourtant, les emmène et nous emmène avec eux, rejoindre Moïse et Elie sur la montagne où déjà Dieu s’est révélé un Dieu tout Autre que ce qu’ils attendaient. Moïse, le grand Moïse : on nous dit qu’il parle à Dieu comme un ami à son ami, et pourtant vers la fin de l’Exode, il pose de manière insistante la question « Fais-moi donc voir ta face ! » ; j’aime bien ce moment-là, parce que je me dis : « Tiens, Moïse, lui non plus, ne voyait pas face à face comme cela ! » (moi non plus, je vous l’avoue, mais ça ne vous étonnera pas sans doute). Et là, Dieu se manifeste à lui de dos !

Quand à Elie, il a commencé de façon intransigeante comme quelqu’un qui connait tout sur Dieu, qui extermine les prophètes de Baal, etc… et puis il craque ; et sur la montagne où il voudrait retrouver les grands signes du Sinaï, il lui sera dit que Dieu n’est pas dans ces signes-là, mais il se manifeste dans le « bruit d’un fin silence ».

Et aujourd’hui, ce n’est plus de dos, ce n’est plus dans un fin silence, que ce Dieu-Autre se manifeste, c’est la Face resplendissante de la lumière du premier jour de création, de la lumière divine – « que la lumière soit » – c’est la Face resplendissante de cette lumière de Jésus qui manifeste ce Dieu-Autre : c’est « la Parole faite chair ».

Mais cette Face métamorphosée dans la lumière, c’est bien la Sainte Face du Jésus-homme outragé et crucifié. Ces vêtements resplendissants, ce sont ceux dont Il sera dépouillé pour être pendu nu au gibet infamant de la croix. La Parole faite chair, elle se donnera pleinement dans le silence de la croix.

Là est le lieu de la manifestation plénière de Dieu que Moïse et Elie ont cherchée et qui est tellement Autre que ce que nous attendons et imaginons de Dieu, et donc de son Christ.

Pierre, pourtant, continue à désirer un Christ de Dieu qui arrête l’histoire et ses aspérités, ses épreuves.

Mais dans la nuée du Saint de Dieu, vient la Voix en laquelle tout se noue. Sur la montagne, on ne peut pas rester, mais la Voix, on peut l’emporter pour le chemin.

C’est dans cette Voix que tout se noue. Elle est plus décisive que les signes, et même que la Face transfigurée de Jésus ; elle est plus décisive ; c’est celle qui est adressée à Jésus à son baptême ; c’est celle qui est adressée aux disciples et aux disciples que nous sommes, à notre baptême.

Pierre dans la deuxième Lettre, la reprend magnifiquement : « Jésus a reçu de Dieu le Père l’honneur et la gloire, quand, depuis la gloire magnifique, lui parvient une voix qui disait « Celui-ci est mon Fils, mon Bien-aimé ; en Lui j’ai toute ma joie ! »

C’est ce que Jésus vit.

Cette déclaration n’est pas une déclaration dogmatique de divinité : simplement, « Jésus est Dieu » comme cela, mais c’est une déclaration de paternité, d’amour.

Oui, Jésus est Dieu mais Il l’est comme Fils qui reçoit tout du Père ; et qui du coup, donne tout !

Ce qu’Il reçoit comme Fils, Il nous le donne à nous. C’est ce qu’Il vit et c’est ce qu’Il donne comme Christ.

C’est cette Parole qui créée et qui recréée. C’est cette Parole qui le ressuscite, et qui nous ressuscite.

Avec cette Parole, qui est aussi celle de nos baptêmes, nous pouvons avec Pierre, Jacques et Jean, reprendre la route sinueuse de nos vies, et en certains jours, éprouvante.

La mort sous ces différentes formes, ne nous sera pas évitée mais un chemin de résurrection est ouvert ; et ce chemin, c’est le Christ, lui-même.

Comme Pierre et les autres, nous continuerons à nous demander, et il faut continuer à nous demander, ce que signifie « ressuscité d’entre les morts ».

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