Homélie du dimanche 27 mars 2022 – 4ème Dimanche de Carême, de Lætare – Année C
Par le Frère Jean
Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur. Le style oral a été conservé.
Chers frères et sœurs, cette parabole que nous venons d’entendre avec ces personnages, c’est un peu nous : le père qui exerce la miséricorde, le fils qui claque la porte, le fils ainé qui est jaloux. Oui ! Ce qui plait à Dieu, c’est de faire miséricorde.
Mais de faire miséricorde, en particulier, à celui qui s’est détourné de Lui. Comme disent nos Pères cisterciens : celui qui est passé de la région de la ressemblance à la région de la dissemblance, mais qui se reprend et qui revient vers lui : l’importance du repentir.
Faire miséricorde est la joie de Dieu. La joie de l’amour divin est beaucoup plus grande lorsqu’il peut donner beaucoup.
Oui, joie du père de l’enfant prodigue, qui fait un banquet en son honneur, lors de son retour ; et qui affirme qu’il y a plus de joie dans le ciel pour un pécheur qui fait pénitence que pour 99 justes qui persévèrent. Et cette autre déclaration de Jésus parlant de Marie-Madeleine : elle a beaucoup aimé parce qu’il lui a été beaucoup pardonné.
Cette joie de Dieu, frères et sœurs, toutefois, nous déconcerte un peu, comme elle déconcertait le frère ainé de l’enfant prodigue, armé comme nous-mêmes peut-être, de cette justice égalitaire qui voudrait régulariser les effusions de l’amour infini de Dieu. La Sainte Écriture est remplie de ce type de réactions, en particulier dans les Psaumes, quand le psalmiste interroge : comment se fait-il que le mauvais vive de longs jours et que le juste termine sa vie sur un tas de fumier ?
Il est clair que le père de l’enfant prodigue est une figure de Dieu le Père, qui consent à ce que son enfant use de sa liberté d’enfant de Dieu… « Père, donne-moi l’héritage qui me revient ! »… au risque de se casser les dents, comme nous l’avons entendu : « Moi, ici, je meurs de faim ».
Peut-être, frères et sœurs, que si nous étions à la place du père, nous penserions : « Tu l’as voulu… Assume ! »… ce n’est pas le cas !
L’Écriture nous apprend que l’épanouissement d’un être humain suppose qu’il abandonne son père et sa mère ; dans le Livre de la Genèse : …C’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair. Et cette rupture est en vue de la vie ! Ainsi d’Abraham à qui Dieu enjoint de quitter son pays, sa parenté et la maison de son père, et nous dit le texte sacré : Abraham partit comme lui avait dit le Seigneur.
Ainsi encore, des premier disciples de Jésus : laissant là leur filets, ils le suivirent. Et l’enfant de la parabole de ce jour : Il partit pour un pays lointain et il y dissipa tout son bien.
À un moment ou l’autre de notre existence, ne sommes-nous pas tous comme l’enfant prodigue qui veut vivre sa vie en prenant du large par rapport à la religion et en trouvant des tas de prétextes pour justifier notre attitude… parce que l’Église est ceci, est cela… parce que les dogmes sont insupportables… parce que les chrétiens qui m’entourent et qui vont à la Messe le dimanche ne sont pas meilleurs que les autres, etc… nous avons tous entendu ou peut être prononcé ce type de réflexion.
Cette phase de notre vie est nécessaire à notre cheminement : pour aller vers une découverte plus profonde du Mystère de Dieu, du Christ, du Mystère de l’Église, du Mystère de l’amour infini de Dieu. Peut-être faut-il dans notre vie, une fois ou l’autre, avoir claqué les portes pour savourer le plaisir de rouvrir les portes à nouveau plus tard.
Comme l’enfant prodigue, il nous faut un jour ou l’autre, manger des gousses sur une terre étrangère pour redécouvrir, à frais nouveaux, le vrai visage de Dieu dont nous nous étions éloignés (certainement parce que nous nous faisions une fausse image de Dieu). Combien de prêtres pourraient témoigner de ces personnes que nous avons la joie de rencontrer un jour ou l’autre, et qui nous disent qu’après avoir traversé un désert spirituel pendant 20 ans, 30 ans ou plus, redécouvrent la joie de leur baptême.
Cette parabole nous parle aussi du contentieux entre le fils ainé, son père et son frère : « Quand ton fils est arrivé, tu as fait tuer pour lui le veau gras, et pour moi rien du tout ».
La Sainte Écriture, frères et sœurs, ne manque pas d’exemples d’opposition entre des frères :
Isaac qui prend le pas sur Israël, Éphraïm qui est béni avant Manassé.
Salomon, le fils de David, qui est né en second et qui devient le premier en passant sous le nez de son frère ainé. Et l’exemple peut-être le plus célèbre, celui de Jacob et d’Esaü, l’un et l’autre fils d’Isaac et de Rachel dont l’Écriture nous dit : « Dès le sein de leur mère, ils se disputent déjà »… c’est bien parti ! Dès le sein de leur mère…
Ce qui fait dire à Rachel, leur mère : « S’il en est ainsi, à quoi bon vivre ? »
Il faudra l’intervention de Dieu dans la vie de Jacob au gué de Yabboq, pour dénouer cette situation et pour que Jacob soit béni de Dieu, à l’issue d’une nuit très longue de combat avec l’Ange qui est la figure de Dieu. À l’issue de ce combat : la bénédiction ; comme à l’issue de la vie dissipée de l’enfant prodigue : la bénédiction du père !
Et bien ! De même pour nous, frères et sœurs, il nous faut passer à travers le désert brulant et souvent aride avant de trouver une oasis désaltérante ; c’est la loi de toute vie humaine, c’est la loi de toute vie spirituelle.
Mais un autre enseignement de cette parabole : c’est le rôle du père qui tient lieu de tiers entre son fils ainé et son fils cadet. C’est le père – et la miséricorde du Père – qui peut créer une réconciliation entre deux oppositions. En effet, rien n’est bilatéral dans l’Église (non pas seulement dans l’Église mais aussi dans la société) parce qu’en tout, nous sommes appelés à laisser venir et agir entre nous un tiers qui est Dieu, qui est le Christ, qui est le Saint Esprit.
Nous avons tous besoin – oui – d’être enveloppés de la miséricorde divine.
On a pu dire de notre société d’aujourd’hui qu’elle est une société sans père. En simplifiant beaucoup, on pourrait dire qu’au cours du XXe siècle, on a vu la société et l’Église avec elle, passer d’un régime de paternité sans fraternité à un régime de fraternité sans paternité. Or, nous avons tous besoin et de paternité et de fraternité.
Suivons le chemin du Fils de Dieu, qui, à l’exemple du fils prodigue a abdiqué ses droits (car si on en croit certains Pères de l’Église, le fils prodigue de cette parabole serait aussi une figure de Jésus).
« Lui… comme dit St Paul dans l’épitre aux Philippiens… n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu. Mais il s’est dépouillé… devenant obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix ».
C’est ce grand Mystère, frères et sœurs, que nous allons célébrer dans quelques semaines durant la semaine Sainte.
Que cette eucharistie qui est une anticipation du grand Mystère pascal, nous y prépare…
Amen !