Chers frères et sœurs
L’Ordre de Cîteaux dont notre monastère de Sénanque fait partie depuis ses origines, place les célébrations de la Vierge en grand honneur ; c’est pourquoi avec l’Église orthodoxe, cette fête de la Nativité de la sainte Mère de Dieu détient la prééminence sur la célébration du dimanche du temps Ordinaire.
C’est une grande joie pour l’Église, de prendre part à l’allégresse du monde entier qui célèbre de façon multiple et varié, cette naissance bienheureuse de la Vierge Marie, car à partir de la nature terrestre toute pure, en l’occurrence à partir du petit corps de la Vierge qui vient de naitre, va se renouveler la multitude des corps, où sera constitué, après le mystère pascal le corps mystique du Christ, la nouvelle terre céleste !
Cette fête projette, dans le cycle du Temporal de l’année liturgique, un heureux anniversaire en relation, non seulement avec la fête de l’Immaculée Conception dont elle découle, mais plus encore avec la Nativité du Fils de Dieu, puisque la naissance de la Vierge ne trouve sa raison d’être, que dans son rapport au mystère fondateur de l’Incarnation du Verbe de Dieu qui veut nous sauver du Mal et du péché.
Qu’elle est belle cette fête en dépit du dénuement de sa réalité historique ! La Vierge Marie est cette jeune femme entièrement libre de tout préjugé, qui par sa réponse à l’ange de l’alliance de l’Esprit, se montre tout à la fois humble et audacieuse pour consentir dans la foi, à l’annonce de l’immense fabuleux évènement qui à jamais va changer le cours de l’histoire. C’est après une longue préparation parmi les pauvres d’Israël de la lignée plutôt obscure du roi David, que nous rapporte le début de l’Évangile de saint Matthieu en ce jour, au terme d’une longue attente, que la Vierge Marie se présente comme un véritable Don de Dieu. C’est déjà l’aube, qui sur un horizon encore ténébreux, annonce le Soleil !
Cela réclamerait un grand mépris, à la fois des femmes et de Dieu-même, de penser qu’Il se serait servi de cette « génératrice » comme d’un instrument, un simple moyen, pour entrer dans l’humanité par surprise, par une sorte d’effraction, sans conscience ni consentement de sa part. Le récit de l’évangile de l’Annonciation témoigne du contraire, et avec quelle profondeur et modestie ! N’est-elle pas cette jeune fille vouée à Dieu seul depuis son plus jeune âge, bien consciente d’être la « servante du Seigneur », elle va assumer l’aventure démesurée, et va oser être la mère, moins d’un roi promis à la gloire politique, que d’un Fils unique de Dieu voué à une incroyable pauvreté humaine. Elle reçoit cet enfant non moins à garder jalousement comme un trésor, que comme un Sauveur à partager sans retour. Elle sera la moins possessive des mères : Elle laissera venir les bergers, remettra dans le temple le « poupon » entre les mains de Siméon. Elle respectera la liberté de l’enfant jusqu’à voyager une journée entière, sans s’apercevoir qu’il n’est pas dans la caravane qui redescend de Jérusalem.
C’est dans cette liberté surprenante, que Marie inaugure l’admirable échange que Dieu vient instaurer avec les hommes. C’est avec la Vierge sainte et son époux Joseph que Jésus grandit en sagesse et en âge selon le mode familial commun le plus ordinaire ; que là dans le quotidien, Il va s’établir et progresser dans la solidarité avec le genre humain pécheur par surcroit.
Ainsi commence avec Marie et Joseph la relation nouvelle des hommes avec Dieu, de quoi confondre la sagesse des sages, pour qui pareille chose ne peut être qu’un rêve !
Pourtant elle a partagé les neuf dixièmes de la vie du Christ, cet inimaginable Don divin, certainement souvent dans la prière et le silence de l’amour de Dieu. Elle n’évitera pas les blessures de ce monde qui de plus en plus l’atteindront. La Croix anéantira sa maternité même ; mais en mourant délibérément son Fils transfèrera cette maternité en vue de tous les hommes comme le rapporte si étonnement St Jean au pied de la Croix.
La Vierge Marie a donc vécu l’essentielle Espérance dans le dépouillement total, éloignée de la gloire, et des triomphes humains.
Sans doute nous invite-t-elle aujourd’hui à la rejoindre ainsi dans notre quotidien.