Homélie du dimanche 1er Mars 2020
1er Dimanche de Carême – Année A
Par le Frère Jean
Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur – Le style oral a été conservé
Chers frères et sœurs, une fois n’est pas coutume, la liturgie de ce jour s’y prête, si nous parlions du Diable et des tentations.
La Tradition monastique s’y est intéressée de longue date, voyant dans le chemin monastique une vocation à la lutte contre l’Adversaire. C’est pour cela qu’aux origines du christianisme, des hommes, des femmes – et ces dernières n’ayant rien à envier aux moines quant à leur endurance dans l’ascèse – des hommes, des femmes, partent au désert pour lutter contre le Diable. En quelque sorte, ils prennent les devants.
« Là au désert, comme disait St Antoine le Grand, ils sont délivrés de trois combats : ceux des yeux, de la langue et de l’ouïe ; un seul demeure, le combat du cœur ! »
Car c’est à ce cœur sanctifié par le baptême, et demeure de l’Esprit Saint, que l’Adversaire va s’en prendre pour détourner l’homme de la lumière divine. Car ce monde que fuit le moine – et là en ce sens il est l’archétype de tout chrétien – le monde que fuit le moine, c’est en premier lieu le monde, qu’il porte dans son cœur, marqué par la concupiscence de la chair, la convoitise des yeux et la possession des richesses (pour reprendre la première Lettre de St Jean, au chapitre second).
Ces trois convoitises : des yeux, de la chair, des richesses, qui sont l’écho en St Jean, des trois tentations du Christ au désert que nous venons d’entendre dans cet évangile ; ou pour le dire autrement, avec les mots qu’employait le Saint Pape Paul VI : « la tentation démesurée de l’avoir, du savoir et du pouvoir ».
On voit bien, frères et sœurs, aujourd’hui, comment l’avidité démesurée de l’avoir peut devenir une injustice criante entre ceux qui ont les richesses du monde et ceux qui en ont les miettes, c’est-à-dire, les deux tiers de l’humanité !
Et puis le savoir – le savoir qui se décline de multiples manières : dans la vie économique, dans la vie industrielle, dans la vie culturelle – peut être accaparé, là aussi, au profit d’une minorité dominante, qui elle, sait ce qu’il faut faire.
Et puis, encore la tentation, l’hybris (c’est-à-dire la démesure du pouvoir), qui maintient une grande partie de l’humanité dans des formes multiples d’esclavage, d’exploitation.
Ce sont ces fractures de notre humanité qui se retrouvent dans le cœur de l’homme. C’est là que l’Adversaire, le Prince de ce monde, exerce son pouvoir, du moins jusque-là où Dieu lui permet d’exercer ce pouvoir. C’est là un grand mystère que St Paul appelle « le mystère d’iniquité ».
Comment Dieu permet-il qu’une créature spirituelle, Lucifer, le nom que lui donne l’Écriture, ait un si grand pouvoir ? Lui dont nous savons le but, qui est de défigurer l’image de Dieu en l’homme, en s’efforçant de la salir, de la déformer, de la ternir.
C’est pourquoi nous prions plusieurs fois par jour dans le « Notre Père », sur l’injonction du Seigneur lui-même qui nous fait dire chaque jour, plusieurs fois par jour : « Délivre nous du Mal ».
« Si nous écoutons, en effet, la voix envoutante du « père du mensonge », nous dit le Pape François dans sa Lettre d’introduction au Carême 2020, si nous écoutons la voix envoutante du « père du mensonge », nous risquons de sombrer dans l’abîme du non-sens et de vivre l’enfer dès ici-bas sur terre. »
Mais pourquoi le mal ici-bas ? Cette question que nous nous posons peut-être, ou que nous entendons nous poser par les autres ; pourquoi le mal ici-bas ?
La Sainte Écriture, la Parole de Dieu, nous éclaire à ce sujet.
Dans le Livre de l’Apocalypse au chapitre 12, nous voyons que Satan est vaincu en droit mais pas encore de fait.
La victoire contre Satan, nous dit l’Apocalypse, est remportée mais ses effets ne sont pas encore pleinement effectifs sur la terre.
C’est pourquoi il y encore du mal sur la terre.
La défaite de Satan, nous dit l’Apocalypse, est déjà inaugurée mais il faut attendre que la victoire du Bien, c’est-à-dire de Dieu, soit complètement effective sur la terre. Elle arrivera lors de la venue du Christ à la fin des temps, que nous appelons la Parousie.
Avec la victoire de Jésus ressuscité, nous pouvons dire que la fin d’un monde est déjà advenue mais ce n’est pas encore la fin du monde.
Durant cette attente, de la venue glorieuse de Jésus à la fin des temps qui est le temps de l’Église, nous sommes tous appelés au combat spirituel.
St Philoxène de Mabboug, au VIème-VIIème siècle, nous invite à « combattre et à vaincre les petites choses, afin, dit-il, que les grandes ne nous vainquent pas. »
Nos Pères dans la vie monastique ont beaucoup parlé du combat spirituel. Ils voient dans le combat, un lieu de grand bien pour la sanctification personnelle :
« Sois courageux dans la guerre, dit encore Philoxène, ne sois pas décontenancé de ce que le désir se met en mouvement chez toi ! Les forces spirituelles sont plus puissantes en toutes choses que les forces corporelles. »
-y compris le Coronavirus ! –
Le combat spirituel est nécessaire d’être enseigné et proposé à tous les chrétiens.
Dans l’existence des chrétiens, aujourd’hui plus que jamais, les idoles sont séduisantes ; les tentations pressantes. Si bien que l’art du combat spirituel, le discernement des esprits, la manifestation de ses pensées à un maitre spirituel, l’invocation du Nom de Jésus et de sa miséricorde, doivent redevenir partie intégrante de la vie intérieure du disciple du Christ.
Le risque, frères et sœurs, est de croire avoir atteint un degré de vie spirituelle tel, que les précautions ne sont plus nécessaires. La vigilance, qui nous est recommandée par le Nouveau Testament, nous enseigne que, jusqu’à l’heure de la mort, le Démon cherche à tuer en nous la joie, la foi, le désir de louer Dieu et d’en témoigner.
Oui, les vrais combats de Dieu se situent dans notre monde intérieur où nous luttons contre nos misérables désirs. Les Saints, eux, luttent directement contre Satan.
Prenons pour exemple le Curé d’Ars qui disait que « la plus grande ruse du Démon était de faire croire qu’il n’existe pas ! » ; et l’écrivain Baudelaire au XIXème, mais ce qu’il dit est toujours valable pour aujourd’hui, écrivait :
« Il est plus difficile d’aimer Dieu que de croire en Lui ; au contraire, il est plus difficile aux gens de ce siècle de croire au Diable que de l’aimer : tout le monde le sert et personne n’y croit !»
Les vrais combats, oui, se situent à l’intérieur de notre cœur.
Pour nous réconforter dans ce combat, entendons la finale de « l’Hymne à l’Amour de Dieu » de St Paul dans sa Lettre aux Romains :
« Oui, j’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les Puissances, ni les forces des hauteurs, ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur. »
En Lui soient toute gloire et tout honneur pour les siècles de siècles. Amen !
