Chers frères et sœurs,
Jésus est profondément humain. Un livre de spiritualité d’il y a quelques décades était intitulé : « Dieu seul est humain ».
Jésus est profondément humain. Il nous le montre dans cette page d’évangile de ce jour qui nous touche tous. Jésus est pris de pitié devant cet homme, devant ce lépreux. Il est, dit le texte sacré, pris de compassion. La compassion de Jésus n’est pas une compassion, pourrait-on dire, à fleur de peau. C’est ce bouleversement de la profondeur de son être devant la souffrance humaine. Comme Jésus, vous vous en souvenez, quelques jours avant sa mort, lorsqu’il va ressusciter Lazare et qu’il apprend de Marie et de Marthe que son ami, Lazare, est mort, Jésus fut saisi de compassion et il pleura. Il nous est bon, frères et sœurs, de savoir que Jésus sait pleurer.
De même lorsqu’il voit, en rentrant dans Naïm, cette veuve qui suivait le cortège funèbre où elle allait enterrer son fils unique, le même mot est employé dans l’évangile. Jésus fut saisi « aux tripes », dirait-on aujourd’hui.
Il n’y a pas de compassion sans passion. Celui qui compatit vraiment pâtit lui-même. La compassion, c’est une communion à la souffrance de l’autre. Aujourd’hui, on parle beaucoup d’empathie. C’est bien, l’empathie est une belle vertu – mais la compassion est vraiment une vertu chrétienne qui s’ancre, justement, dans ce que nous venons d’entendre ; dans ce Dieu qui sait prendre sur lui et en lui, la souffrance de l’autre.
Face à la souffrance humaine, on peut parler non de souffrance divine, mais de compassion divine. C’est la grande question depuis les origines de l’Église : est-ce que Dieu souffre ?
Dieu, dans son Fils, souffre. Dieu, par la mort de son Fils, souffre. Le mystère de la souffrance divine n’a pas d’explication rationnelle humaine, encore moins scientifique ; que de fois n’entend-on pas, lorsque les personnes traversent des grandes épreuves, et Dieu sait s’il y en a à travers le monde : « mais comment Dieu peut-il permettre ça ? »
Est-ce que Dieu souffre de nos souffrances ? Ce qu’on peut dire, c’est que Dieu est touché dans le Christ par nos souffrances.
Le lépreux de ce jour est pris en considération pour lui-même. Et pour montrer que sa maladie n’est pas une marque d’infamie l’excluant de la société, comme on l’a entendu dans la première lecture du livre des Lévites, Jésus le toucha. Jésus touche cet homme et montre par là qu’il est au-dessus de toute loi d’impureté légale. Jésus manifeste par ce geste qu’il est au-dessus de la loi d’impureté. Jésus est au-dessus de la loi parce que, en sa Personne, Jésus est la loi, la loi nouvelle, la loi qui se donne et qui se communique par le Don de l’Esprit-Saint. La loi avec Jésus n’est plus une réalité extérieure qui est imposée et qu’il faut appliquer. La loi, c’est une Personne, c’est Jésus ; et c’est une Personne à aimer ; et c’est une Personne avec qui nous pouvons entrer en relation.
Et nous baptisés, nous vivons sous cette loi nouvelle qui est une loi de liberté, qui est une loi qui est la loi de l’Esprit-Saint. Saint Paul le dira très bien dans sa lettre aux Romains : « Morts à ce qui nous tenait captifs, nous avons été affranchis de la loi, de sorte que nous servons sous le régime nouveau de l’Esprit et non plus sous le régime périmé de la lettre ».
Si Jésus est touché par la souffrance du lépreux, frères et sœurs, par la souffrance des hommes, par la souffrance de chacun d’entre nous, Jésus est aussi profondément touché par la foi. Et c’est un autre enseignement de cette page d’évangile. Il est touché par la foi de ce lépreux. En en parlant, Saint Jean Chrysostome, l’un de nos Pères des premiers siècles, écrit : « Grande était la foi du lépreux qui se présentait à Jésus. Il ne troubla pas la parole du Seigneur. Il s’approcha du Christ lorsqu’il descendit de la montagne. Il ne le fit pas à la légère, mais avec une grande ferveur et en tombant à genoux, il le supplia avec une foi profonde et une haute opinion du Seigneur ».
Oui, frères et sœurs, la foi, tout particulièrement la foi des humbles, la foi de ceux qui sont apparemment loin de Lui, voilà que même ceux qui n’appartiennent pas au peuple élu – comme on le voit avec le récit de la Syro phénicienne que nous avons entendu il y a quelques jours – cette foi, quel que soit le lieu d’où elle vient, remue les entrailles de Jésus ; Dieu en Jésus, est lui aussi bouleversé par la foi.
« Voyez, dira Jésus après sa rencontre avec le centurion, je n’ai jamais rencontré une telle foi qu’en cet homme, même en Israël » : en cet homme, le centurion romain, donc un païen, c’est-à-dire quelqu’un qui est étranger à la foi du peuple juif, voilà que la foi de cet homme bouleverse Jésus. Et cela nous enseigne que pour le Christ, c’est-à-dire pour Dieu, aucun homme, aussi défiguré soit-il par les lèpres multiples qui l’affectent dont la plus importante est la lèpre du péché, aucun homme n’est étranger à Dieu. Le dessein de Dieu en envoyant son Fils Unique, c’est vraiment cela ! C’est le Salut de toute l’humanité : l’humanité de façon globale et l’humanité dans sa dimension individuelle. Le christianisme est un inverse du collectivisme. Pour le Christ, il n’y a que des personnes individuelles. Et ces personnes sont regardées dans le grand Corps, dans le grand plan de dessein du Salut de Dieu et tout particulièrement dans ce grand Corps qu’est l’Église. Ce Salut, Dieu seul peut le réaliser ! Et il l’a réalisé une fois pour toutes par la mort et la résurrection de son Fils bien-aimé, de son Fils Unique.
Et pour nous, frères et sœurs, ce Salut que Jésus nous donne en venant nous toucher comme il touche le lépreux, il s’agit de nous l’approprier, de le faire nôtre. Et nous nous l’approprions de façon particulière dans le sacrement de l’Eucharistie, où Jésus fait encore plus que nous toucher. Il vient nous incorporer, prendre chair dans notre chair et renouveler en nous, rendre actuelle et vivante la grâce du baptême.
Un autre enseignement de notre lépreux, c’est que le Salut apporté par Jésus, nous rend, comme dit le psaume 50, la joie d’être sauvés. Mais aussi, ce Salut nous rend notre place dans le Corps du Christ qu’est l’Église. Va, dit-il au lépreux, va te montrer au prêtre et reprend ta place dans le peuple dont tu fais partie. Les guérisons opérées par Jésus, physiques et spirituelles, sont toujours destinées à remettre le malade, quelle que soit sa maladie, de lui rendre sa place dans la communion de l’humanité, et pour nous chrétiens, dans la communion de l’Église. Le péché nous coupe du Corps du Christ. Le toucher du Christ nous remet dans notre place d’enfants de Dieu dans l’Église. Pour être guéri, il faut reconnaître, d’abord que nous sommes malades, et que nous avons besoin d’être guéri, c’est-à-dire d’être sauvés.
Dans la langue des évangiles, c’est le même mot qui dit « guérir » et qui dit « sauver ». Lorsque Jésus guérit les corps – et c’est beau et c’est bon, nous avons tous besoin – il désire aussi guérir la vie spirituelle, la vie de relation avec Dieu, parce que les deux sont intimement liés, notre corps et notre âme. Le corps est fait pour l’âme et l’âme est faite pour le corps.
Le baptême nous a guéris, nous a sauvés une fois pour toutes, mais nous faisons l’expérience que la grâce de notre baptême peut être recouverte par des cendres, par des scories multiples ; et la vie en Église, la vie sacramentelle, la prière, permet que ces cendres soient dissipées pour que le feu de la Vie divine, le feu de notre être d’enfants de Dieu, de fils de Dieu, soit renouvelé, se mette à nouveau à brûler.
C’est ce que nous allons célébrer pour notre joie, maintenant dans le sacrement de l’Eucharistie, avec tous nos frères en humanité.
Amen.