Chers frères et sœurs,

Il n’est pas rare lorsque nous lisons les Saintes Écritures de nous dire à nous-mêmes, ou bien d’entendre dire, « je n’ai rien compris ! »… cela est plutôt bon signe !

« Si durant la lecture des Saintes Écritures, tu te trouves devant une porte close, frappe, et le gardien t’ouvrira, lui dont Jésus a dit : « le gardien la lui ouvrira » nous dit l’un de nos Pères dans la foi, Origène, au IIe siècle ; et encore st Augustin : « Hier tu comprenais un peu, aujourd’hui, tu comprends davantage ; demain tu comprendras plus encore ». Et st Grégoire le Grand aura cette parole étonnante : « L’Écriture progresse avec ceux qui la lisent »…

Le mot « parabole » signifie : accueillir une nouvelle vision des choses qui va bouleverser le cœur et qui est appelée à entrainer celui qui l’entend dans le mystère de Dieu et de son règne. Cette parabole que nous venons d’entendre : « Le Royaume des cieux est comparable à un roi » ; comparable ! Suivant les traductions : « comme si » ; ce qui signifie : « ce n’est pas comme ça mais c’est comme ça ! »

Il y a à la fois, dans toute parabole, une similitude authentique et un décalage permanent. Et c’est cette tension entre la similitude et la dissemblance qui nous fait progresser dans l’intelligence de la parole de Dieu. Peut-être avez-vous remarqué, en entendant cette parabole, que, à ces noces du fils du roi, il y a une grande absente, c’est la mariée ! Où donc est l’épouse du marié ? On n’en parle pas ! C’est quand même gênant ! Nous ne sommes pas les premiers à nous poser la question, et déjà notre père st Bernard apportait cette réponse : c’est que l’épouse, c’est nous, écoutons-le : « C’est nous dans le cœur de Dieu, c’est nous parce qu’il nous en rend digne et non parce que nous sommes dignes ». Et là nous entendons quelque chose de précieux et d’important dans les Saintes Écritures, c’est que l’alter ego de l’Époux qui est le Christ, c’est l’Église, c’est l’humanité – dans l’humanité de façon toute particulière, c’est l’Église – et dans l’Église c’est de façon toute particulière, chacun des baptisés, chaque âme des baptisés, comme dit Bernard.

À ces noces, on nous dit encore que « la multitude des hommes est appelée ». C’est qu’en effet, l’Évangile est une annonce faite par Dieu à tous les hommes de bonne volonté. « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » comme dit st Paul dans la première lettre à Timothée. C’est pourquoi on peut dire que la dimension de l’universalité est propre au christianisme et à l’Église catholique. On confond parfois, de façon peut-être pas très juste (même si c’est pas bien grave), universalité et catholicité. L’universalité : l’Église veut dire que, à la suite de Paul, la bonne Nouvelle de l’Évangile est appelée à se répandre jusqu’aux confins de l’univers. La catholicité signifie que cette universalité, cette expansion, est gardée dans l’unité.

Et dans l’Église catholique de façon toute particulière, le successeur de Pierre, est garant de cette catholicité de l’Église ; il est le roc qui fait que l’universalité n’est pas au détriment de l’unité.

Le Royaume des cieux est universel et donc il est pour tous. Tout d’abord parce que le Christ est pleinement homme, et comme le dit le Concile Vatican II : « Rien de ce qui est humain ne lui est étranger ». Donc partout où il y a une créature humaine, partout le Royaume de Dieu est appelé à prendre racine et à se développer.

Le Royaume des cieux est pour tous, oui ! Il est universel parce qu’il n’est pas fondé sur un pouvoir politique mais uniquement sur la libre adhésion à l’amour du Christ. On ne peut forcer personne à devenir chrétien, nous le savons bien. Le Pape François le répète souvent, « l’évangélisation est à l’opposé du prosélytisme ». Il nous faut quant à nous, continuellement apprendre et réapprendre l’universalité et la catholicité de l’Église. Personne ne peut prendre pour absolu non seulement soi-même mais sa culture, l’époque où il vit ; être catholique implique de renoncer à une part de ce qui nous est propre. C’est pourquoi l’universalité et la croix vont ensemble ; « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; si au contraire il meurt, il porte du fruit en abondance » ; et encore Jésus a cette parole : « Celui qui aime sa vie, la perd ! ». Être catholique c’est toujours, d’une certaine façon, mourir à soi-même pour s’ouvrir à plus grand que soi-même.

L’accueil de l’annonce de l’Évangile en effet est toujours une réponse libre. Le christianisme est la religion de la liberté – mais pas n’importe quelle liberté – liberté au souffle de l’Esprit, liberté d’adhésion au Christ. Nul ne peut être contraint à suivre le Christ mais l’évangile de ce jour nous le rappelle : tous sont invités à le suivre, à le connaitre et à l’aimer.

Commentant cette page d’évangile, st Grégoire le Grand nous dit que « ceux qui ont été appelés ont la foi, mais il leur manque l’amour, l’habit nuptial de l’amour » ; en effet, la foi requiert toujours l’amour, car la foi sans l’amour, ce n’est pas la foi. St Paul nous dit : « Quand j’aurais la foi la plus totale, celle qui transporte les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien ! ». Cet habit nuptial, disions-nous en écoutant Grégoire le Grand, représente aussi le baptême. D’autres Pères de l’Église peuvent avoir une interprétation différente de st Grégoire le Grand (qui est un grand père de l’Église), mais je retiens et je vous partage celle d’Augustin qui est intéressante : il se pose la question : Cette robe nuptiale, est-ce que c’est le baptême ? Il y a de la cohérence : la robe blanche… « C’est vrai que pour parvenir à Dieu, il faut être baptisé, mais ce ne sont pas tous ceux qui sont baptisés qui parviennent à Dieu » (ça, Augustin n’en sait rien, nous non plus parce que le jugement final, Dieu seul le connait !) ; il poursuit : « Je ne puis pas assimiler le baptême au vêtement de noce, car le vêtement de noce, je le vois sur les bons mais je le vois aussi sur les méchants. Alors qu’est-ce que c’est ‘ce vêtement de noce’, c’est le jeûne ? Ou bien le fait de manger ce qui est sur l’autel, c’est-à-dire de communier ? Est-ce que c’est de venir à l’Église ? Mais les mauvais y viennent comme les autres. Mais voilà, conclut-il, ce qu’est le vêtement nuptial : c’est la charité venant d’un cœur pur, d’une conscience droite et d’un cœur sincère ; un tel amour de charité est le vêtement de noce. » (Homélie de st Augustin : « Dès lors, quel est ce vêtement de noce? Voici ce que l’Apôtre nous en dit: Le but de cette prescription, c’est l’amour qui vient d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sincère (1Tm 1,5). Tel est le vêtement de noce. Il n’est pas n’importe quel amour, car on voit très souvent des hommes malhonnêtes en aimer d’autres, malhonnêtes comme eux, mais on ne trouve pas chez eux l’amour qui vient d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sincère. Cet amour, c’est le vêtement de noce. »)

Vous comprenez bien que comme nous le disions au début, il n’y a pas une seule interprétation de la Sainte Écriture. Chacun de nous avons reçu l’Esprit Saint, qui nous donne de rentrer dans les Écritures et de comprendre les Écritures avec notre histoire ; et chaque interprétation est juste et bonne dans la mesure où elle ne se renferme pas sur elle-même, dans la mesure où la lecture de l’Écriture est symphonique – pour reprendre la belle expression du Pape Benoit XVI. La beauté d’une symphonie, c’est que tous les instruments s’écoutent les uns les autres.

Ceux qui ne sont pas baptisés, seraient-ils exclus du Salut ? Sont-ils bannis du Royaume ? On entend souvent cette question : « Alors, qu’en est-il des non-baptisés ? ». Le Concile Vatican II répond à cette question en disant que : « Il existe une réelle possibilité de se sauver (comprenez : parvenir à la vision de Dieu, à la vie dans le Royaume) en dehors d’une appartenance visible à l’Église pour les hommes de bonne volonté. L’Esprit Saint offre à chacun la possibilité de participer au mystère pascal selon une mesure connue de Dieu seul ». Cet enseignement du Concile, toutefois, ne déprécie en aucune manière l’unicité et la portée universelle de la révélation en Jésus Christ ; au contraire la possibilité universelle du Salut a comme préliminaire à la base, la conviction que la vérité est Une ; en d’autres termes, la possibilité de Salut qui est offerte à tous les hommes, y compris à tous les non-chrétiens, ne peut pas être séparé de Jésus Christ qui est la Voie, la Vérité et la Vie. Et non pas une voie parmi d’autres… une vérité parmi d’autres… une vie parmi d’autres… personne ne peut entrer en communion avec Dieu sinon par le Christ et l’œuvre du Saint esprit.

En tout cela, frères et sœurs, aucune arrogance, ni triomphalisme de la part de l’Église. L’Église a conscience aujourd’hui, plus que jamais, qu’elle est servante d’un trésor qu’est la Révélation divine et qui la dépasse infiniment ; et qu’elle n’est pas la propriétaire de cette révélation chrétienne mais la dispensatrice.

« Convoquez à la noce, poursuit notre évangile, tous ceux que vous trouverez ».

Dans le passé certains chrétiens se sont emparés de ce verset d’Évangile pour justifier la pression, voire la violence, exercée à l’égard des populations ignorantes de la foi chrétienne ; il est clair qu’aujourd’hui, l’Église a une attitude toute autre : servante de l’humanité, l’Église, et donc chacun d’entre nous, se veut dépositaire de la bonne Nouvelle qu’elle a reçue de Jésus, qu’elle tient comme un trésor ; trésor non pas pour elle seule mais pour tous les hommes qui librement l’écoutent et y adhèrent. Le fait que les disciples d’autres religions peuvent recevoir la grâce de Dieu et être sauvés par le Christ – indépendamment des moyens ordinaires que Lui-même a établis : à savoir les sacrements, dont le sacrement de baptême – ce fait n’annule pas du tout l’appel à la foi et au baptême que Dieu veut pour tous les peuples. Si tout homme, quelle que soit son origine, peut réponde à l’appel au Salut adressé par Dieu, cela n’empêche pas que la voie chrétienne reste la réponse définitivement identifiée au Verbe de Dieu, le Seigneur Jésus Christ. St Clément d’Alexandrie au IIe siècle écrivait : « C’est à partir d’un seul et par un seul que nous sommes sauvés et sauvons les autres ».

En tout cela, frères et sœurs, Dieu manifeste son humilité. Il la manifeste dans la création ; et Dieu est humble aussi dans le Salut, dans la façon dont il sauve les hommes. Le Christ est plus préoccupé que tous les hommes soient sauvés, que de ce qu’ils sachent tous, qui est leur sauveur.

Comme le chante une hymne de st Thomas d’Aquin, que nous chantons souvent à l’adoration le soir, latens Deitas : « divinité qui se cache ».

Au moment de passer de la foi à la vision, l’émerveillement le plus grand ne sera pas pour nous, probablement, de découvrir la toute-puissance de Dieu mais sa grande humilité. Comme disait Blaise Pascal : « Dieu, c’est l’infiniment grand dans l’infiniment petit ». Amen !

 

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