Homélie du Dimanche 15 Septembre 2019

24ème dimanche du temps ordinaire – Année C

Par le Père René Luc

Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur – Le style oral a été conservé

 

Nous sommes ici, en week-end de retraite à Sénanque, avec les jeunes d’une école d’évangélisation à Montpellier et les jeunes d’un groupe de prière, « Spiritus ». Ils ont l’habitude de faire une fois par mois, à Montpellier, une soirée d’évangélisation qu’on appelle « Une Lumière dans la nuit ».

Le principe est très simple : beaucoup de gens sont baptisés, catholiques dans cette belle ville de Montpellier, mais beaucoup… un peu « décrochés ». Ils sont un peu comme cette fameuse petite brebis qui s’est éloignée du troupeau.

Alors, il faut trouver des moyens simples pour permettre un raccrochage : on ouvre l’église St Roch, située en plein centre-ville, au milieu des restaurants, de 21 h à 23 h, avec ce qu’on appelle un « Wingfly » (c’est des sortes de drapeaux pour vendre des voitures).

Nous, on vend pas des voitures mais on vend « Une Lumière dans la nuit » (c’est une jolie image avec une bougie dans une main) ; c’est éclairé par des projecteurs ; à l’extérieur, il y a une enceinte ; des jeunes jouent de la musique à l’intérieur de l’église ; l’église est tamisée : une lumière très feutrée. Sur l’autel, il y a le beau Saint-Sacrement, l’ostensoir, c’est Jésus lui-même qui est là ; avec bien sûr de l’encens qui brule en permanence derrière Lui, avec un projecteur qui l’éclaire.

Mais comme beaucoup de gens ne savent pas ce qu’est le Saint-Sacrement, sur l’autel lui-même, il y a une très belle icône, immense, où l’on voit Jésus assis sur un trône, avec écrit (Jn 14, 16) :

« Je suis le chemin, la vérité et la vie ».

Et on invite les gens qui passent dans la rue à, tout simplement, faire une démarche. Il y a ce qu’on appelle « le paillasson » : c’est des gens qui sont en bas de l’église et qui disent :

« Bonjour, vous savez ce qui se passe dans l’église ? »

Alors, les gens : « heu, non ! ».

« Eh bien, allez voir ! ».

C’est le paillasson !

Les gens montent ! Vous verrez, c’est assez étonnant, si un jour vous voulez voir une petite vidéo sur « You Tube ». Y’a une vidéo qui s’appelle « une Lumière dans la nuit » (quand vous rentrerez de Sénanque, vous pourrez aller voir ça, si vous voulez).

Les gens entrent. Ils sont très nombreux (à peu près en moyenne 600 personnes à chaque veillée) qui sont rentrées dans l’église. Et là, ils sont accueillis par une autre équipe qui leur propose tout simplement d’écrire une intention sur un bout de papier et de la déposer devant l’autel. Ces intentions vont être portées au Carmel de Montpellier… les Sœurs carmélites, qui les lisent l’une après l’autre ! C’est très beau de savoir ce lien entre la vie contemplative et la mission !

En partant, ces personnes piochent une Parole de Dieu au « hasard »… et ils partent souvent avec les larmes aux yeux ; souvent ils s’assoient ; et l’église se remplit petit à petit. On voit des gens qui restent là une demi-heure, trois quarts d’heure, une heure.

Au mois de juin (on fait cela tous les mois), faisant une de ces missions, un couple vient vers moi. Je suis en haut des marches (je vais les appeler Roméo et Juliette ! Parce que je peux pas leur donner leur vrai prénom, par discrétion). Juliette était un peu éméchée, sortie du restaurant. Roméo était normal mais Juliette, un peu éméchée. Et quand elle me voit : « Ah ! Mon Père ! Mais c’est génial ! Un prêtre ! En pleine nuit, c’est super ! Nous, on veut se marier ! Est-ce que vous pouvez nous marier ? »

« Bah, peut-être pas tout de suite quand même, mais… »

Du coup, je leur fais faire la démarche… ils étaient un peu éméchés… j’ai fait ce que j’ai pu. Ils ont rempli des papiers : Roméo aime Juliette et Juliette aime Roméo ! Y’a pas de souci !

Mais ils reviennent au mois d’août. De nouveau une grosse mission avec les jeunes de Cap Missio et Annuncio. Et voilà que là, Juliette n’était pas éméchée. Elle était tout à fait normale. Ils m’avaient recherché parce qu’ils avaient été touchés par cette petite veillée à la périphérie… et elle voulait vraiment faire une démarche. Et, la semaine dernière, ils n’étaient plus à une veillée… ils étaient au Presbytère pour s’inscrire en ma présence pour la préparation au mariage… ils vont se marier le 20 août l’année prochaine dans cette même église. Et ils sont repartis avec des livres à lire sur la préparation au mariage, etc… etc…

Pourquoi je vous raconte ça ?

Parce que c’est une grande joie ! Pour nous, pour mon cœur de prêtre ! Il y a plus de joie pour cette personne éméchée qui venait de la rue, que pour les 99 autres personnes, qui sont peut-être rentrées, qui étaient déjà « cathos », et qui ont vu l’église ouverte et qui ont l’habitude d’aller déposer un cierge. Voyez ? C’est ce que nous dit Jésus dans cet évangile.

Alors je vous propose de réfléchir sur deux points, à partir des textes d’aujourd’hui.

Le premier point, ça va être, « ranger notre chambre » (pour les moines, ce sera la cellule, pas la chambre !)

Et notre deuxième point : le pouvoir de l’intercession.

Lorsque le Pape François a médité l’évangile d’aujourd’hui :

« Si l’un de vous a cent brebis et qu’il en perd une, n’abandonne-t-il pas les 99 autres dans le désert pour aller chercher celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la retrouve ? »

Une de ses premières homélies sur ce thème-là, en septembre 2013 (je me rappelle très bien parce que ça m’a beaucoup amusé). Il dit « Vous comprenez, à l’époque de Jésus, il fallait sortir pour la brebis qui était dehors et laisser les 99 qui étaient dans l’Église. Mais aujourd’hui… c’est le contraire ! Il y en a 99 dehors ! Et rien qu’une dans l’Église !»

Et nous qu’est-ce qu’on fait ? On sort pas ! Parce que, on a pris l’habitude de s’en occuper de notre petite brebis !

Et il dit, le Pape François : « On la caresse, on la cajole, on l’entretient. Elle est toute seule dans notre Église mais… ». Et là, il s’exclame comme ça : « Ma non siamo parruchieri ! Siamo pastori ! »

« Nous ne sommes pas des coiffeurs, nous sommes des bergers, des pasteurs ».

C’est un vrai problème, frères et sœurs. Qu’est-ce qu’on fait dans l’Église pour s’occuper des 99 brebis qui sont dehors ? Pourquoi on reste tellement enfermés dans nos églises ?

Le Pape François va dire : « Je veux une Église en sortie. Je préfère une Église qui se casse la figure en allant dehors » – on peut faire des gaffes et des erreurs ! – « plutôt qu’une Église bien sage, bien lisse, enfermée sur elle-même ».

Alors, dans la suite de cet évangile magnifique, on se réjouit pour la brebis qui vient et puis il prend une autre comparaison :

Une femme perd une pièce d’argent – alors pour vous une pièce d’argent, ça ne vous parle pas trop. Je vais prendre une médaille de baptême, par exemple, en or (ou pas), que votre maman vous a achetée à votre baptême et vous l’avez toujours sur vous… et vous perdez votre médaille.

Qu’est-ce que nous dit Jésus ?

Deux choses :

D’abord : allumer une lampe. Qu’est-ce que ça veut dire pour notre vie : mettre la lumière sur notre vie. Comment puis-je retrouver ce qui est essentiel pour ma vie spirituelle, si je n’allume pas la lampe ? Qu’est-ce qui fait que je suis dans l’obscurité ?

L’obscurité vient de quelques petits détails fondamentaux pour notre vie spirituelle. Par exemple : l’obscurité vient du fait que j’ai complètement abandonné le sacrement de la réconciliation.

Le sacrement de la réconciliation, au-delà de faire un vrai ménage spirituel dans mon âme, me permet par le prêtre, d’avoir un ou l’autre conseil… qui me permet d’avancer dans ma vie spirituelle.

Tous ceux qui fréquentent régulièrement une Abbaye comme celle de Sénanque, vont non seulement avoir recours au sacrement de réconciliation, mais je l’espère, comprendre l’importance de vivre ce qu’on appelle « un accompagnement spirituel ». C’est-à-dire de se référer à un prêtre, ou à un laïc plus expérimenté, qui va me permettre de relire ma vie. Car personne ne peut se guider lui-même ! Et plus, le Seigneur nous invite à être missionnaires et apôtres, et plus nous avons besoin d’allumer la lampe de l’accompagnement.

Il nous dit aussi de balayer la maison. Quand on balaye en général, on lève les meubles. On les met sur les tables et on fait du rangement. À Cap Missio, ce sont des jeunes (qui sont parmi vous, ils sont 10 cette année) qui prennent un an de leur vie pour la mission ; et ils vivent en communauté. Une des premières choses qu’on leur dit : « vous savez, la tradition spirituelle dit que l’on reconnait l’état de l’âme, à l’état de la chambre ». Vous imaginez bien que, pour des étudiants, quand vous leur dites ça, ils se regardent tous en éclatant de rire ! Et à qui n’a pas rangé son caleçon ? Qui a laissé ses chaussettes ? Et du coup c’était très mignon, parce qu’on a fait un petit temps communautaire ce jeudi (ils viennent juste de rentrer le 2 septembre) et l’un d’entre eux, pour ne pas nommer son prénom, a dit tout fier « ça va bien parce que ma chambre est toujours bien rangée ! »

C’est une tradition dans la vie monastique, mais nos Frères moines ont peut-être plus de facilité à ranger leurs chambres que nous, parce qu’ils ont tellement peu de choses. Que voilà ! Et ça c’est très beau !

Mais je crois que c’est une invitation en ce début d’année scolaire, quelle que soit notre état de vie : retraité, dans la vie active, étudiant ; où en est ma vie ? Comment est-elle rangée ?

Le rangement de ma maison, de ma vie spirituelle. Voilà pour le premier point.

Venons-en à notre second point qui est plus lié à la première lecture. Vous avez entendu – c’est quand même assez étonnant – ce que nous dit la première lecture :

Moïse qui a amené le peuple d’Israël dans le désert. Ils ont été libérés avec une telle puissance, les fameuses plaies d’Égypte. Chaque fois qu’ils faisaient une action, Pharaon était troublé. Il disait : « C’est bon, je vous laisse partir ! ». Parce que même si ses mages arrivaient à imiter un peu la puissance de ce que faisait Moïse et Aaron, c’était tellement fort : les sauterelles, les grenouilles, l’eau en sang et finalement même la mort des premiers nés, que chaque fois ils disaient « le Dieu d’Israël est trop puissant ! ». Et puis Pharaon s’endurcissait.

Mais le peuple d’Israël était étonné de voir la puissance de leur Dieu. Et quand ils sont sortis :

« Notre Dieu d’Israël a été capable de faire ça ? Il a épargné tous les premiers nés d’Israël mais pas ceux d’Égypte ? Et voilà que maintenant, il ouvre la mer Rouge devant nous ? Ah, qu’il est grand notre Dieu ».

Et puis, ils arrivent dans le désert, confrontés à l’épreuve dans la durée, ils arrivent à dire cette chose horrible – Israël en faisant un veau d’or, plusieurs idoles – ils chantent en disant, écoutez bien :

« Israël, voici tes dieux, qui t’ont fait monter du pays d’Égypte. »

Mais comment est-ce possible d’avoir vécu ce que je viens de vous dire, quelques mois plus tôt, et d’en arriver à dire… parce que ils auraient dit, « Israël tourne toi vers d’autres dieux parce que ton Dieu t’a abandonné », ça me choquerait moins… mais ils disent : « Israël, voici tes dieux, qui t’ont fait monter du pays d’Égypte ».

Quelle horreur pour Dieu ! Quelle horreur pour Moïse ! Quel affront ! Quel aveuglement !

Alors, bien sûr, Dieu est scandalisé !

« Ok, on va refaire comme à l’époque du déluge ! On va raser tout ça ! Et à partir de toi, Moïse, on va redémarrer, parce que là, je peux plus ! »

Et Moïse : « Seigneur, mon Dieu, rappelle-toi d’Abraham, d’Isaac et de Jacob… prends patience envers ton peuple ».

Et Dieu va – j’ose pas dire, va changer d’avis – mais va freiner sa main ; et en mémoire, justement de la promesse faite à Abraham, Isaac et Jacob, va renoncer à détruire complètement ce peuple qui est plus que dur de cœur… qui est violent ! C’est une violence que l’on fait à Dieu.

Alors comment l’adapter à nous, frères et sœurs ?

D’abord on peut se dire que :

Est-ce que l’on est toujours dans le prolongement des grâces que l’on a reçues ? Ou est-ce que, comme Israël, ils ne nous arrivent pas, parfois, d’avoir la mémoire courte, et de vivre par notre vie, des actions complètement contraires à ce que Dieu nous avait donnés dans sa bénédiction ?

Ça peut arriver à chacun d’entre nous – à moi aussi – de ne pas être en accord, entre cette libération, cette puissance de Dieu, et puis à un moment… je retourne à mes oignons…. les fameux oignons d’Égypte !

Mais c’est surtout terrible de retourner à des idoles ! Ces idoles, qui ne peuvent pas, en rien, être mises en rapport avec la puissance de Dieu.

Mais l’autre point que j’aimerais surtout relever avec vous : c’est la puissance de l’intercession de Moïse. Et je dis souvent – mes frères moines d’ici de Sénanque qui ont cette charité fraternelle de me proposer parfois de faire la prédication m’ont déjà entendu le dire et pardon si je répète – mais justement le texte s’y prête. Je dis souvent « comment expliquer la vie de ses Frères moines ? Pourquoi ne vont-ils pas faire du travail dans les hôpitaux… servir les Sdf, au lieu de rester enfermés à Sénanque ? »

Ça sert à quoi leur vie ?

Ben, justement, c’est le texte qui nous le dit. Moïse, dans un autre passage de l’Exode, se trouve les bras levés sur la montagne, et pendant ce temps-là, le peuple d’Israël est dans la plaine en train de faire la bagarre contre les Amalécites. Quand Moïse a les bras levés, le peuple d’Israël gagne ; quand Moïse est fatigué, parce que c’est dur de garder les bras levés – nos Frères moines qui se lèvent tous les jours à 4.30 h pour lever les mains, c’est fatigant – quand il baisse les bras, alors le peuple d’Israël perd, alors, il essaye de garder les bras, mais il n’en peut plus, alors Aaron et Hour lui tiennent les deux bras jusqu’à ce qu’ils gagnent la victoire.

Frères et sœurs, si nos Frères moines n’intercèdent pas comme Moïse a intercédé pour que le peuple d’Israël ne soit pas détruit dans le passage que l’on vient de lire, n’intercèdent pas comme dans ce fameux passage de la bataille avec les Amalécites… nous perdrons la bataille !

Tant qu’il y aura des monastères de vie contemplative en France, nous pourrons faire de la mission.

Et je vais même aller plus loin : pourquoi je suis très confiant pour l’avenir de Sénanque, de Lérins et des Abbayes monastiques ? Parce qu’il y a un renouveau de la mission, en France. Il y a le fameux « Congrès Mission » qui va avoir lieu fin septembre.

Or, « Plus, nous dit Jean-Paul II, dans Redemptoris Missio, plus l’Église est missionnaire, plus c’est un signe de bonne santé ; moins elle est missionnaire, plus c’est un signe d’une crise de « foi ». Vous savez la crise de foie : hépatite A, B, C, F, l’hépatite de quand on a la jaunisse. Un chrétien qui va à la Messe, qui fait la tronche tout le temps, il est en pleine crise de « foi » !

Or, en ce moment il y a un renouveau de la Mission. Puisqu’il y a un renouveau de la mission, il y aura automatiquement un renouveau de la contemplation. Parce que l’un et l’autre ont toujours marché ensemble : Moïse sur le Mont, le peuple d’Israël dans la plaine. Nous ne pouvons pas être missionnaires dans notre ville de Montpellier, si on n’a pas le soutien de nos Sœurs carmélites et de nos Frères de Sénanque.

Donc je suis sûr que parce qu’il y a un renouveau de la mission, il y aura peut-être dans un deuxième temps – ce ne sera peut-être pas tout de suite, immédiat – un renouveau de la vie contemplative.

Alors, encore une fois, l’occasion pour nous de remercier nos Frères de Sénanque pour leur vie donnée, cachée, cachée là-haut sur le Mont Sinaï.

Et pour vous, pour chacun d’entre nous, en cette semaine, je vous invite à faire le point… quelle est la lumière que je dois allumer pour faire le ménage dans ma vie ?

Afin d’aller chercher la brebis qui est loin… Amen !

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