Chers frères et sœurs,
Le Christ n’aura jamais fini de nous surprendre… comme il a surpris Simon-Pierre, qui après sa magnifique confession de foi que nous avons entendue : « Tu es le Christ », s’entend répliquer quelques instants plus tard : « Passe derrière moi Satan, tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ».
Le Christ n’aura jamais fini de nous surprendre… comme il a surpris ses auditeurs, et en premier ceux qu’il avait choisis pour apôtres, en leur disant qu‘il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté, qu’il soit tué, et que trois jours après il ressuscite.
Le Christ n’aura jamais fini de nous surprendre… comme il a surpris la foule qui l’entourait, en leur disant que ceux d’entre eux qui voulaient le suivre, il leur fallait renoncer à eux-mêmes et prendre leur croix.
Le Christ n’aura jamais fini de nous surprendre… nous qui, en ce début du troisième millénaire, voulons à notre tour marcher à sa suite. Et les paroles qu’il nous adresse, nous le comprenons bien, sont les mêmes que ces paroles exigeantes que Jésus a adressées à son entourage en cet instant de l’histoire. Elles sont pour les disciples du Christ de tous les temps, donc pour nous. « Celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie pour moi et pour l’Évangile, la sauvera ». Oui, le message, frères et sœurs, est exigeant.
Jamais nous n’aurions pensé, au début de notre cheminement chrétien, c’est-à-dire formellement au jour du baptême (car c’est le baptême qui a fait de nous des chrétiens)… nous n’aurions jamais pensé que l’exigence pouvait aller si loin, c’est-à-dire jusqu’à perdre sa vie. Car au fond, un christianisme sans la Croix, ou du moins sans aller jusqu’au sommet, c’est-à-dire jusqu’à la crucifixion, nous irait mieux ; en somme : Pâques sans le Vendredi saint ! La figure de la Croix, oui, mais pas la réalité.
Et pour aider ses auditeurs à entrer dans le grand Mystère de sa Pâque, Jésus va s’attribuer la figure du Fils de l’homme. Les juifs, ses auditeurs qui connaissaient bien les Écritures, savaient bien qui était le Fils de l’homme tel qu’en parle le prophète Daniel, à savoir : un être céleste préexistant de condition divine, et qui sera le Sauveur aux derniers temps. Jésus aimera s’approprier ce titre de « Fils de l’homme » pour signifier que sa mission est destinée à tout l’homme, à tout homme, en dépassement de tout particularisme ethnique, national ou religieux.
Mais Jésus, frères et sœurs – et c’est là la pointe de notre Évangile de ce jour – fera un pas de plus en disant que ce Fils de l’homme aura beaucoup à souffrir, être rejeté, être tué, et trois jours après ressusciter. C’est là que ça se corse en quelque sorte avec ses auditeurs, et cela, le Livre de Daniel ne le disait pas. Pour le comprendre, il faut se référer aux quatre passages du prophète Isaïe sur le Serviteur souffrant dont nous avons entendu un extrait dans la Première lecture : « J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe ».
Jésus va rapprocher ces deux figures : celle du Fils de l’homme de Daniel et celle du Serviteur souffrant du prophète Isaïe, pour dire en quelque sorte, le noyau dur de sa mission. Oui, il vient du Ciel avec puissance pour délivrer tous les hommes, mais cette délivrance ne s’accomplira qu’à travers le chemin étroit de la souffrance et de la Croix. Comprendre et accepter cela implique, tant chez les apôtres que la foule qui entoure Jésus, une véritable révolution copernicienne intérieure, un véritable retournement, une véritable métanoïa.
Et il en est de même, frères et sœurs, pour nous aujourd’hui. Il ne suffit pas de confesser que Jésus est la vérité – et cela est capital de le confesser – il faut en vivre les conséquences. Comme l’écrira si bien Saint Ignace d’Antioche, évêque martyr au premier siècle, je le cite : « L’œuvre qui nous est demandée n’est pas simple profession de foi, mais d’être trouvés jusqu’à la fin des temps dans la pratique de la foi » ; et Saint Jacques, nous l’avons entendu dans la deuxième Lecture, enfoncera encore le clou dans notre tête (si j’ose dire) : « Tu prétends avoir la foi ; moi, je la mets en pratique ». « Dans l’histoire de l’Église, disait un jour le Pape François dans une homélie, il y a deux catégories de chrétiens : les chrétiens de paroles qui disent « Seigneur, Seigneur », et les seconds plus authentiques : les chrétiens d’action et de vérité (et le pape poursuivait en parlant avec son langage direct qu’on lui connaît) : des gnostiques modernes qui cèdent à un christianisme fluide ».
Il ne s’agit pas, frères et sœurs, d’opérer, comprenons bien, un clivage simple et qui ne serait pas juste, entre ceux que nous qualifierions de bons chrétiens et ceux dont on penserait qu’ils ne le sont pas. Simon-Pierre et les apôtres n’étaient pas des hommes parfaits dès leur appel sur les rives du lac de Tibériade ; mais Jésus les a appelés à sa suite, non pas parce qu’ils étaient parfaits mais parce qu’il voulait, par son Esprit, par sa Parole et par son exemple surtout, les aider à grandir dans la foi et à découvrir progressivement toute la hauteur, la profondeur, la largeur de son Mystère. Après sa résurrection, Jésus leur communique, comme il l’a fait pour nous, la plénitude de son Esprit Saint pour qu’ils aient la force de suivre le chemin qu’il leur avait tracé, chemin âpre et difficile, certes, mais possible par la grâce de Dieu. Le chrétien, comme les apôtres, est appelé à être un témoin. Non pas un héros ! Les saints sont avant tout des pécheurs pardonnés et non pas des héros. Le héros présente un exemple qui est très beau mais qu’on ne pourra jamais rejoindre. Le disciple du Christ, dans sa faiblesse, est rejoint par le Christ, par l’Esprit de Jésus qui vient lui donner la force d’en haut.
L’histoire du Christ, frères et sœurs, continue dans l’Église jusqu’à la fin des temps. Jésus nous en a fait la promesse ; nous en sommes les protagonistes. Le Seigneur, par et à travers les faiblesses de son Église, accomplit son œuvre et comme dit le livre de l’Apocalypse : Il fait bien toute chose.
Avec Pierre, frères et sœurs, confessons par toute notre vie que le Christ est l’Envoyé du Père et qu’en lui se trouve la clé du bonheur. En effet, Dieu aime tous les hommes comme dit Paul, et veut que chacun parvienne à la plénitude de la connaissance de la vérité, donc de la charité. Car depuis que Dieu s’est fait homme on ne peut séparer vérité et charité ; comme le dit un psaume : « Amour et vérité s’embrassent ».
Que l’Eucharistie de ce dimanche matin, jour de la Résurrection, augmente en nous le désir de rencontrer, de suivre le Christ, non pas selon nos idées mais selon la voie que l’Esprit Saint trace pour nous, et trace pour son Église. Nous pourrons ainsi dire avec le psalmiste : « Je marcherai en présence du Seigneur sur la terre des vivants »… et là se trouve ma joie ! Amen !