Frères et sœurs,

« Il expliquait tout à ses disciples en particulier ».

On aimerait bien que ce matin ce soit Jésus lui-même qui nous commente les paroles qu’il a prononcées !

Chers frères et sœurs, on nous parle aujourd’hui du Royaume de Dieu, ou du règne des Cieux. Jésus le compare à une graine de sénevé, une graine de moutarde, qui germe et qui grandit d’elle-même : « nuit et jour » précise l’évangéliste Marc ; et Jésus prend soin de préciser qu’elle est la plus petite des semences du monde, mais quand on l’a semée, elle devient une plante très grande avec de longues branches. Tout le monde peut comprendre : du petit peut jaillir le grand !

C’est une loi qui est inscrite dans la création elle-même, voulue par Dieu : du petit peut jaillir le grand !

Nous savons que dans le sein de notre mère – si l’on en croit les généticiens – l’embryon que nous étions, possédait déjà tout ce que nous allions être plus tard, devenus adultes : de la couleur de nos yeux jusqu’à la forme de nos orteils ! À l’origine de cette loi, il y a – et c’est – l’humilité de Dieu qui se donne à voir. S’adressant à Jésus, Sainte Catherine de Sienne dira : « En te faisant petit, tu as fait l’homme grand ! ».

La vie des saints, frères et sœurs, illustre à merveille cette loi « du petit et du grand », « du faible et du puissant ». Saint Paul qui écrit : « À moi qui suis le plus petit des fidèles, la grâce a été donnée d’annoncer aux nations l’insondable richesse du Christ » ; et le saint Curé d’Ars qui se tourne de préférence vers ceux qui sont petits (sans pouvoir). Il ne le fait pas pour donner une sorte de « primat » à l’incapacité mais pour que les fruits de son action ne soient pas faussement attribués à sa seule action. Dans nos limites, frères et sœurs, et dans nos faiblesses, la grâce de Dieu Toute Puissante, la grâce de l’amour de Dieu agit, et elle peut faire de grandes œuvres. Dieu manifeste ainsi la puissance de son amour : du petit sort le grand ! Il nous signifie que dans ce qui est petit, voire dans ce qui est méprisé aux yeux du monde comme dira Saint Paul, sa Toute-Puissance peut se manifester tout autant, et encore mieux que dans ce qui est grand et puissant aux yeux du monde. C’est ainsi que Saint Augustin* fait dire à Dieu : « Un jour viendra où j’agirai dans le sénateur mais mon action sera plus évidente encore dans le pêcheur » (le pêcheur, celui qui pêche, pas celui qui commet des péchés ! Mais aussi dans celui qui commet des péchés !)- *« Donne-moi, dit le Christ, ce pêcheur, donne-moi cet homme simple et sans instruction, donne-moi celui avec qui le sénateur ne daigne pas parler, même quand il lui achète un poisson. Oui, donne-moi cet homme. Certes, j’accomplirai aussi mon œuvre dans le sénateur, l’orateur et l’empereur. Un jour viendra où j’agirai aussi dans le sénateur, mais mon action sera plus évidente dans le pêcheur. Le sénateur, l’orateur et l’empereur peuvent se glorifier de ce qu’ils sont : le pêcheur, uniquement du Christ. Que le pêcheur vienne leur enseigner l’humilité qui procure le salut. Que le pêcheur passe en premier. C’est par lui que l’empereur sera plus aisément attiré. »

En cela, il n’y a nullement un culte du misérabilisme, ou comme peuvent le dire certains adversaires de l’Église, comme quoi : « le christianisme serait la religion des faibles »… Non ! Un jésuite du XVIIe siècle exprimera cette réalité en une phrase lapidaire qui est inscrite sur l’urne funéraire du fondateur des Jésuites, Saint Ignace de Loyola, je vous cite cette parole : « Ne pas être limité même par l’immense, trouver pourtant sa place dans l’infime : voilà qui est divin ».

Et bien frères et sœurs, le Royaume de Dieu promis par Jésus, grandit et s’affermit selon cette dynamique dont je viens de parler. Il advient et il s’étend selon cette loi « du petit et du grand ». Il grandit et il s’affermit selon sa souveraineté et la Seigneurie de Dieu. Le Royaume de Dieu a son équivalent dans l’expression : la souveraineté de Dieu, la Seigneurie de Dieu.

L’Église en tant qu’assemblée convoquée autour du Christ, est le lieu par excellence dans lequel le Royaume de Dieu advient pour les hommes d’une façon visible au sein de leur histoire. En effet, frères et sœurs, ne séparons pas le Royaume de Dieu de la Personne de Jésus. Les Pères de l’Église disaient que le Royaume, ce n’est pas quelque chose d’abstrait là-haut dans le ciel ; le Royaume des cieux, c’est une Personne ; si bien que l’expression « Royaume de Dieu » serait une façon voilée de dire « Jésus-Christ ». « Là où est le Christ, disait Saint-Ambroise de Milan, là est le Royaume ». Le Royaume, c’est quelqu’un, c’est une Personne !

Le Royaume de Dieu – second volet – c’est aussi une réalité intérieure, une réalité mystique – si ce mot ne vous fait pas peur. Le Royaume de Dieu est établi dans l’intériorité de l’homme, son lieu, c’est le cœur de l’homme. La spécificité et la nouveauté de Dieu consiste à nous dire que Dieu agit hic et nunc : maintenant, dans le monde et dans le cœur de l’homme ; et que l’heure est venue où Dieu se révèle dans l’histoire comme son Seigneur lui-même, le Dieu vivant, et cela dépasse, frères et sœurs, tout ce qu’on a pu connaître avant son incarnation. La grande grâce que nous vivons frères et sœurs, après la naissance du Christ, est que jamais autant qu’en notre temps, resplendit la puissance de l’amour de Dieu manifestée dans le Christ Jésus.

Peut-être frères et sœurs, me direz-vous que les événements que nous voyons aujourd’hui autour de nous ne semblent guère corroborer cette affirmation : que de drames, que de guerres, que de violences ! Il est important alors de rappeler et d’affirmer que l’Église du Christ, à la différence du monde, n’obéit pas aux majorités (en admettant qu’elles existent !), mais elle obéit à son Seigneur, à son histoire, à la tradition dans laquelle, mystérieusement, agit Dieu lui-même au moyen de l’Esprit Saint… comme « la petite graine jetée en terre qui grandit nuit et jour ». Et cette vie propre de la vie divine dans le monde, comme dirait Pascal : elle est d’un autre ordre ; de l’ordre du Royaume des cieux, de l’ordre de l’intériorité, de l’ordre de l’Esprit.

Enfin, troisième volet, frères et sœurs : le Royaume des cieux c’est une Personne, le Royaume des cieux c’est une réalité intérieure, troisième volet : le Royaume des cieux consiste à mettre en relation sous différents aspects le Royaume de Dieu et l’Église, et de dire qu’il y a un rapport de plus ou moins grande proximité entre les deux. Dans l’Église, frères et sœurs, nous vivons déjà réellement du Royaume de Dieu, mais l’Église n’épuise pas sa réalité, ou pour parler plus exactement : l’Église est le grand vaisseau qui conduit ses passagers vers, et dans, le Royaume des cieux en qui tout s’accomplit.

Oui, l’Église n’est pas le royaume de Dieu mais elle en est le Sacrement (lorsque nous parlons de sacrement nous pensons spontanément aux sept sacrements d’initiation chrétienne qui ont été spécifiés au XIIIe siècle : la confession, l’ordination, le mariage, etc…

mais le mot Sacrement est plus large que les sept sacrements. Ce que nous appelons « Sacrement » avec un S majuscule dit dans le temps les grandes œuvres de Dieu qui s’accomplissent depuis la création du monde, dans l’Ancien Testament et dans le Nouveau Testament jusqu’au retour de Dieu dans la gloire. Tout Don de Dieu dans nos cœurs et dans le monde est un Sacrement, c’est-à-dire une manifestation de sa présence aimante. La parole de Jésus, frères et sœurs, « le Royaume est au milieu de vous » n’a rien perdu de son actualité aujourd’hui ; le Royaume des cieux est au milieu de vous, il est parmi vous, et il est en vous !

Le fatalisme ne fait pas partie du patrimoine évangélique. Malgré les tiraillements et les souffrances de notre temps – Jésus l’a prédit à ses apôtres : Vous aurez à souffrir en ce monde -malgré toutes les souffrances de notre temps, le Royaume de Dieu grandit et s’affermit, et nous nous appuyons sur cette parole de Jésus qui est notre force : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde »…y compris et surtout quand ça va mal !

Je termine avec une pointe d’humour par ces paroles d’un écrivain écossais qui écrit : « Jésus-Christ a rassemblé les morceaux de bois les plus rugueux et misérables qu’il a trouvés dans le monde, et en bon charpentier qu’il était devenu à l’école de son père Joseph, Il a construit avec eux une barque qui étonnamment résiste dans la mer depuis vingt siècles ».

Et bien frères et sœurs, c’est dans cette barque-Église où le baptême nous a introduit, que nous voulons vivre, aimer, souffrir, et en fin de compte mourir, parce que déjà dans cette Église, dans le monde, nous sentons la bonne odeur du Royaume où l’Esprit du Christ ressuscité accomplit de grandes choses

Amen.

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