Chers frères et sœurs,

nous voici déjà au troisième dimanche d’Avent, célèbre non seulement à cause de la chasuble rose, mais en amont parce que déjà la joie de la venue du Seigneur, du Sauveur, affleure de toutes parts dans la liturgie de ce jour.

« Soyez dans la joie, nous disait Paul, soyez toujours dans la joie, le Seigneur est proche ».

Et nous avons entendu dans le livre d’Isaïe : « Je tressaille de joie dans le Seigneur, mon âme exulte en mon Dieu » ; et avec bonheur, le psaume qui suit la première lecture n’est autre que le Cantique de Marie, le Magnificat, au jour de sa visitation à sa cousine Elisabeth : « J’exulte de joie en Dieu mon sauveur ».

Oui, frères et sœurs, c’est le propre de la liturgie de l’Église de nous inviter à nous mettre à son diapason ; et à entrer, aujourd’hui, dans cette exultation du peuple de Dieu, c’est à dire de l’Église, à l’approche imminente de la venue du Fils de Dieu selon la chair. Invitation à la joie, alors que peut-être personnellement nous ne sommes pas, du moins à cette heure de notre existence, dans une disposition à entrer dans la joie. La liturgie qui vient à notre devant nous tire toujours vers le haut, nous invitant à revêtir un habit de fête, alors que peut-être nous préférerions rester comme l’auteur du psaume 136 qui a pendu sa harpe aux saules des alentours, et se refuse, dit-il, à chanter un chant du Seigneur parce qu’il est en exil et que la tristesse l’accable.

Quoi qu’il en soit de nos dispositions intérieures aujourd’hui, qui je l’espère sont toutes ouvertes à la joie de Noël, le propre de la joie nous le savons, survient souvent à l’improviste lorsque nous ne nous y attendons pas. C’est cette expérience qu’a fait Jean le baptiste lorsque Jésus est venu vers lui sur les bords du Jourdain, pour lui demander le baptême. Un peu plus tard il en parlera en ces termes à ses disciples : « L’ami de l’époux (c’est-à-dire, lui : Jean) se tient là, il l’écoute et la voix de l’époux le comble de joie ; telle est ma joie, poursuit Jean, et elle est parfaite ».

C’est encore, frères et sœurs, cette même expérience de l’éruption de la joie de la venue de Jésus qu’a faite Zachée, le publicain. « Zachée, descends vite de ton sycomore, lui dit Jésus, il me faut aujourd’hui (hodie) habiter dans ta maison ». Vite, Zachée descendit et l’accueillit tout joyeux. On pourrait multiplier les exemples dans les évangiles : le lépreux que Jésus vient de guérir de sa lèpre et qui revient vers lui en rendant gloire à Dieu, le visage contre terre ; et puis ce sont encore les disciples d’Emmaüs à qui Jésus ressuscité vient se révéler dans l’auberge d’Emmaüs ; « Notre cœur, disent-ils, ne brûlait-il pas de joie, tandis qu’il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Écritures ».

Et j’ai cueilli plus près de nous, ce témoignage d’un jésuite allemand dans la tourmente du nazisme, qui écrivait : « Souvent, dans l’agitation et les souffrances de ces derniers mois, ployant sous le poids de la violence, j’ai senti tout à coup, la paix et la joie spirituelle envahir mon âme avec la puissance du soleil levant ».

Et je ne voudrais pas arrêter ces exemples de joie subite sans citer notre Marie de Magdala à qui Jésus apparaît au matin de Pâques : « Jésus lui dit : « Marie ! ». Elle se retourna et lui dit en hébreu : Rabbouni ». Et les apôtres enfermés au cénacle et tremblant de peur, à qui Jésus apparaît après sa résurrection, en leur disant simplement : « La paix (Shalom) soit avec vous ! ».

Et nous, frères et sœurs, faisons mémoire aujourd’hui dans le secret de nos cœurs, de ces irruptions de la joie de la rencontre de Jésus dans nos vies ; peut-être que cela n’a pas été aussi spectaculaire que pour ceux et celles dont je viens de parler. Mais ces visites du Verbe se sont aussi produites en nous sûrement, à la manière du passage de Dieu devant la grotte du prophète Élie, dans une voix de fin silence, comme dit le texte inspiré. « Et de cela, comme aime à le répéter si souvent saint Bernard de Clairvaux, celui-là seul peut en parler qui en a fait l’expérience : Il va, Il s’en va, et Il souffle où Il veut et quand Il veut ».

Guigues II le Chartreux en parlera en ces termes : « Le Seigneur interrompt même la prière du juste au milieu de son cours ; il se présente toujours à l’improviste. L’Époux nous a permis de goûter en peu de temps, combien grande est sa douceur, mais avant même que nous l’ayons pleinement ressentie, il s’est déjà dérobé ».

Peut-être, en recherchant dans votre mémoire, ces instants de votre vie où le Seigneur est passé, y laissant la trace de la joie, car la joie est toujours le signe de la présence de Dieu – même les joies les plus simples, et je dirais, même les joies les plus profanes – peut-être vous direz-vous donc : « Non, je n’ai rien connu de tout cela ».

Alors sachez, ou plutôt écoutez, cette Parole qu’un homme priant, qui persévérait dans une prière sèche, la prière dite « de désolation », entendit murmurer dans son cœur : « Ton désir de me rencontrer me suffit ».

Le désir de Dieu est, à lui-même, le signe réel de sa Présence. « Dieu, écrit saint Augustin, en faisant attendre, étend le désir ; en faisant désirer, il dilate l’âme ; en dilatant l’âme, il la rend capable de recevoir ».

Revenons, frères et sœurs, si vous voulez bien, à l’indicatif sonore de la liturgie de ce jour : « Soyez dans la joie du Seigneur, soyez toujours dans la joie ; le Seigneur est proche ».

C’est cette joie, qu’en ce jour de Noël – où nous avons tant de motifs de ne pas être dans la joie, en voyant tout ce qui se passe dans le monde, ou même plus proche de nous, dans notre entourage quotidien – mais cette joie dont nous parlons, l’évangile de Jean nous dit qu’elle vient d’ailleurs, et que rien ne peut nous en priver. « Vous êtes maintenant dans l’affliction, dit Jésus, mais je vous verrai à nouveau ; votre cœur alors se réjouira ; et cette joie, nul ne vous la ravira ».

La joie de Noël que nous nous apprêtons à célébrer, frères et sœurs, est l’apanage des pauvres, des petits, de ceux que l’Écriture appelle les « Anawim » ; c’est la joie des bergers dans la nuit de Noël, courant vers la grotte après l’annonce des anges. « Les bergers s’en retournèrent, nous dit l’évangile, chantant la gloire et les louanges de Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu.

La joie de Noël – qui n’est pas la joie de Pâques – mais qui la prépare. La joie de Noël, moins éclatante qu’à Pâques, qui sourde en nos cœurs comme une source courant sous la terre avant de jaillir au grand jour.

Cette joie, frères et sœurs, nous la demandons non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour nos proches, pour nos communautés familiales, religieuses ; nous la demandons tout particulièrement pour le pays où Jésus est né : la terre de Palestine, et pour ses habitants, en ces mois tourmentés. Voici notre Dieu qui vient, il vient nous sauver, de ce Salut nous sommes témoins,

Amen !

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