Homélie du dimanche 17 juillet 2022 – 16ème dimanche du Temps Ordinaire – Année C
Par le Frère Jean-Marie
Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur. Le style oral a été conservé.
Frères et sœurs bien aimés,
Au cœur de cet été, certains qui sont en vacances peuvent faire l’expérience de repas avec des amis. Repas agréables précédés d’un apéritif où chacun peut exprimer en toute confiance ce qu’il a sur le cœur, partager sa vie, avec simplicité, avec amitié, avec une compréhension mutuelle, sans jugement à l’emporte-pièce.
Jésus a expérimenté ce fait humain de l’amitié. L’apôtre st Jean nous dit que Jésus aimait Marthe, Marie et Lazare. Ce qui est à souligner, c’est que cette famille est composée de trois célibataires ; et chose étonnante, c’est Marthe la sœur ainée qui reçoit Jésus, qui est la maitresse de maison (dans la tradition sémitique, ce sont les hommes qui étaient maitres de la maison et qui accueillaient l’hôte)… alors, un spirituel de notre temps disait : peut-être que Lazare était handicapé. Lazare n’accueille pas directement Jésus, c’est sa sœur qui l’accueille au nom de la famille. Ensuite, nous n’avons aucune parole de Lazare, celui que Jésus va ressusciter quelques années après, deux ans après).
Jésus était heureux de se retrouver avec ses amis, avec ses apôtres, avec les saintes femmes, en train de prendre un repas amical là où il pouvait déverser son cœur et révéler le dessein de Salut de son Père, lui, l’envoyé du Père. Jésus était heureux et nous sommes heureux de prendre des repas avec des amis, mais Jésus n’est pas venu pour nous donner des recettes culinaires ou pour nous apprendre la bienséance dans nos relations humaines. C’est beaucoup plus que cela. Jésus est venu nous révéler le dessein de miséricorde de son Père.
Cela passe par des réalités humaines très concrètes, très simples ; et c’est souvent dans les moments où nous sommes le plus décontracté que la vie spirituelle peut se développer, qu’une touche divine peut venir toucher notre âme, nous donner des intuitions plus profondes. Dans la tradition biblique, nous voyons que l’hospitalité, l’accueil, appartient à la pratique humaine : dans la première Lecture très célèbre tirée du Livre de la Genèse, nous voyons Abraham accueillir le Seigneur – dans ce texte complexe qui passe du singulier au pluriel, du pluriel au singulier. Abraham s’adresse au Seigneur, s’adresse aux trois hommes qui restent mystérieux ; attitude mystérieuse qui est une préfiguration de la révélation du mystère de la Trinité.
Le Seigneur nous appelle à la convivialité, à vivre avec lui. Ici-bas, l’un des symboles les plus fort de cette convivialité, c’est-à-dire de « vivre avec », ce sont les repas. D’ailleurs Jésus a institué l’Eucharistie au cours d’un repas, au cours du repas pascal, repas sacré, mais c’est à ce moment-là qu’il a institué l’Eucharistie qui anticipe sa mort sur la croix, sa passion, son sacrifice sur la croix, et sa présence permanente au milieu de nous. Le repas nous permet de rentrer en communion avec le Seigneur.
D’ailleurs dans toutes les traditions religieuses même antiques, le fait de manger avec quelqu’un est un rite sacré, un rite d’Alliance, même pour concrétiser une Alliance de paix entre chefs de guerre. Nous sommes appelés aussi, au cœur même du mystère de l’incarnation, à voir que le repas, l’accueil de l’autre, est une réception de Dieu lui-même. Rappelons-nous le chapitre 25 de st Matthieu où Jésus nous dit : « tout ce que vous avez fait (ou n’avez pas fait) au prochain, c’est à moi que vous l’avez fait ».
Accueillir quelqu’un à sa table, accueillir quelqu’un dans sa vie, est plus qu’un accueil humain. On accueille Dieu qui se manifeste par la présence de l’autre. Le repas est signe, symbole, de l’accueil de Dieu mais aussi de l’accueil de l’autre. Le repas anticipe ce festin des Noces de l’Agneau (qui reste mystérieux) où nous sommes appelés à entrer et à participer, où le Christ lui-même viendra nous servir, où nous serons en communion avec Dieu mais les uns avec les autres ; toutes les disparités, les dissonances de ce monde auront disparus pour être dans une grande famille : la famille humaine. Dieu a créé l’humanité pour nous permettre de vivre en communion avec lui, et les uns avec les autres, dans une communion de foi. Telle est notre marche, notre pèlerinage, ici-bas.
Jésus en voulant prendre ce repas, et les autres repas qu’il a pris à Béthanie (juste en face de Jérusalem, sur cette commune très jolie, boisée, agréable, ventée) veut révéler les mystères du Salut. Il veut nous révéler l’amour du Père. Il veut nous révéler cette amitié dans laquelle il veut nous faire entrer. Cela va beaucoup plus loin qu’un repas sympathique avec des amis. Jésus nous appelle à rentrer dans le mystère même de la rédemption et d’y participer. L’apéritif que nous offre Jésus, le repas auquel il nous convie, c’est le sacrifice de la Croix. Cela n’enlève rien aux réalités humaines et à leur côtés agréables, et qui est nécessaire, cependant nous sommes appelés à quelque chose de plus profond : la souffrance humaine, la mort, appartiennent à la réalité, à l’expérience humaine, et nous butons sur cette double réalité, nous n’avons pas de solutions. Le Seigneur vient donner un sens, vient donner une perspective éternelle à la souffrance et à la mort. Et chose mystérieuse, paradoxale, c’est que Jésus sur la Croix nous sauve par amour ; c’est l’agapè qui nous sauve, mais un amour qui est crucifié !
Depuis cet instant-là, c’est la Croix du Christ qui est source de Vie ; seule la Croix est source de vie et de rédemption.
Il ne suffit pas simplement d’aimer, d’avoir des sentiments – c’est très beau – mais Jésus nous appelle à aimer et à prendre notre propre croix. C’est ce texte mystérieux de l’épitre aux Colossiens que nous avons entendu en deuxième lecture, où Paul dit : « Je complète en ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ pour son corps qui est l’Église ». Au sens strict, il ne manque rien aux souffrances du Christ et seul le Christ Jésus est rédempteur de l’homme.
Lui seul sauve ! Ce n’est pas nous qui sauvons l’humanité !
Cependant, dans sa miséricorde divine, Dieu veut nous faire participer au Christ Jésus par choix, veut nous faire participer à l’œuvre du Salut. Il nous met en position d’acteur et pas simplement de récepteur, de bénéficiaires. Nous sommes bénéficiaires de manière gratuite mais il nous appelle de manière concrète à rentrer dans ce mystère de Salut et à y participer de manière efficace. Ce n’est pas une pièce de théâtre qu’il joue ! Il nous appelle vraiment.
Là, Jésus appelle à ce repas mystique tous les êtres humains. Ceux qui sont le plus éloignés.
Ceux qui souffrent le plus, dans leur cœur, dans leur corps, dans leur âme, dans leur esprit, afin que leur vie soit illuminée, nourrie par la Présence du Christ Jésus ; et que tous ces échecs, toutes ces difficultés, toutes ces souffrances, prennent un sens et une fécondité pour le Salut éternel des âmes.
Le Pape Pie XII, pape du XXe siècle, disait : « le Salut éternel de vos frères dépend de votre prière ». Une phrase audacieuse mais Pie XII était un grand théologien. Nous sommes appelés à rentrer dans cet état d’esprit que Paul, dans ses épitres, nous présente : de comprendre que notre vie prend toute sa densité, sa valeur, dans le mystère de la Croix ; et c’est vrai pour chaque être humain. Quelles que soient les difficultés de la vie et les échecs apparents, le Seigneur nous donne de participer à ce repas, qui n’est pas une ironie mal placée, mais qui est là pour nous faire comprendre que – oui, l’amitié existe, l’amour est là – mais notre parcours ici-bas est souvent chaotique, difficile (pour soi-même et pour les autres), et parfois nous ne comprenons pas très bien pourquoi les évènements se passent ainsi et pas autrement (quelquefois de manière très douloureuse). Tout cela a un sens, et nous permet dans un acte de foi et de charité, de rentrer dans cette adhésion, ce mouvement, auquel le Christ veut nous faire participer.
Le Seigneur partage tout ce qu’il est, à des degrés divers : l’être, la vie ; il nous partage aussi son œuvre, ses actions, qu’il veut nous faire bénéficier, et être acteur de notre propre vie, acteur de notre salut, acteur du salut de nos frères. C’est ce paradoxe dans lequel nous sommes invités à rentrer dans une profonde cohérence, unité ; tout est donné ; tout est gratuit ; tout nous est apporté par le Christ. En symétrie, et de manière simultanée, le Seigneur nous appelle à être participants, partie prenante du Salut éternel des autres.
Que cette Eucharistie nous rappelle toute la beauté des relations humaines, de l’amitié humaine, de cultiver l’amitié humaine ; également de prendre la partie la plus difficile de notre vie et celle des autres, afin de l’immerger dans le repas de l’amitié mais aussi dans ce repas de l’Eucharistie, le sacrement de l’Eucharistie, les saints Mystères, où nous rentrons dans cette participation à la Croix qui est efficace, efficiente, qui est féconde.
Que le Seigneur ouvre notre esprit, notre cœur, notre courage – on a besoin de courage pour que notre volonté soit fortifiée – et que nous passions aux actes, que nous ne restions pas des êtres, des hommes et des femmes, velléitaires avec des grandes idées (on transforme le monde mais on n’avance pas d’un centimètre !)
Nous sommes appelés à nous laisser saisir par la grâce de Dieu, à participer avec joie et dans la paix à ce Repas mystique.