Frères et sœurs,

Notre Seigneur Jésus Christ nous appelle à nous aimer les uns les autres comme Il nous a aimés. Le pivot, le fondement, le centre, n’est pas soi-même ou les autres, c’est d’abord la personne du Christ Jésus, vrai Dieu et vrai homme, de qui tout le comportement vient façonner, transformer notre vie pour avoir des mœurs divines, ou plus simplement pour devenir des êtres humains normaux.

Nous sommes tous malades… du péché ; et nous avons besoin du médecin céleste pour être guéris et nous transfigurer. Mais pour cela, il faut prendre les bons médicaments ; et nous sommes appelés à prendre le médicament suprême de la miséricorde. Il est gratuit, ne grève pas le budget de la Sécurité sociale, il n’y a aucun risque d’overdose et il est en disponibilité permanente.

Nous sommes appelés donc à se servir de cette miséricorde divine avec humilité, douceur et fidélité. Nous sommes appelés à d’abord recevoir la miséricorde divine. Il n’y a pas deux types d’humanité : l’humanité des gens « bien » (dont j’appartiendrai évidemment) et les autres. La première catégorie se pencherait sur la seconde avec compassion, avec un certain dédain, une condescendance, non ! Il n’y a qu’une humanité, d’hommes et de femmes, pécheurs, fêlés, névrosés ; nous sommes tous marqués par le péché, mais plus encore que les aspects psychologiques qui sont réels, c’est notre être qui est touché par le Mal. Si dès notre conception nous sommes créés à l’image de Dieu, nous sommes appelés sans arrêt à aller vers la ressemblance de Dieu. Pour reprendre l’expression des pères de l’Église, nous passons du pays de la dissemblance et nous marchons vers le pays de la ressemblance. Si l’image ne peut jamais être enlevée, grâce à Dieu, et notre âme est immortelle – c’est pour ça que tous ceux qui nous précèdent dans l’histoire humaine continuent à vivre sous une autre modalité, personne n’est néantisé – nous sommes appelés peu à peu par une conversion permanente, à nous laisser transfigurer, transformer, et d’abord guérir par la grâce de Dieu.

Mais ce combat c’est le combat de toute la vie ! Ce n’est pas une fois, ce n’est pas un examen à passer, un concours à réussir, et on fait partie du club des agrégés, non ! Nous sommes appelés sans arrêt et jusqu’au bout, jusqu’au dernier moment, à nous convertir. Et pour cela nous sommes appelés en ce jour à faire un petit audit personnel : depuis combien de temps je n’ai pas demandé la miséricorde du Seigneur ? Depuis combien de temps, pour les catholiques, je ne me suis pas confessé ? Cela fait combien de temps, de jours, de semaines, d’années, de décennies… n’allons pas plus loin ! Afin de recevoir de manière objective la miséricorde de Dieu. Nous ne sommes pas protestants, nos frères protestants ont beaucoup de qualités, mais ils ont abandonné une part de la vie sacramentelle qui est un vide, un creux, une blessure.

Nous sommes appelés à recevoir ce ministère, ce pardon de Dieu de manière objective et en Église, soit par la main de l’évêque, soit par celle du prêtre qui donne l’absolution. Pourquoi ? Parce que ce sacrement est là pour nous purifier, pour faire la vérité en nous. Il est nécessaire de faire la vérité, de mettre de l’ordre dans notre vie ; nous sommes tous déglingués ; et nous avons besoin d’être sans arrêt ressaisis, restructurés ; mais ce n’est jamais fini. Il y a les grands axes (comme l’autoroute) et puis après il y a les routes secondaires, mais c’est important. Nous sommes appelés à nous laisser transformés et faire l’expérience de la miséricorde – alors, évidemment, ce n’est pas un encouragement à pécher ! – Mais si nous ne faisons pas l’expérience de la rencontre de Jésus qui nous pardonne, qui nous sauve… il nous sera difficile de considérer les autres avec bienveillance, avec bonté, avec fraternité, avec compassion, parce que nous nous croirons toujours supérieur aux autres. Il y a un fond d’orgueil, de vanité, de suffisance, qui nous habite ; il y a une strate qui ne part pas, qui restera toujours. C’est un combat permanent : on se croit supérieur aux autres, et puis en plus, le centre du monde… tout doit graviter autour de soi ! Impressionnant ! Mais comme tout le monde vit ça, évidemment, c’est légèrement ennuyeux dans la vie sociale, y compris dans la vie de l’Église.

Nous sommes appelés à nous décentrer, à recevoir ce regard de miséricorde de Jésus qui n’attend qu’une chose : de nous faire miséricorde… mais il attend que nous ouvrions la porte. Jésus frappe à la porte ; comme il dit au chapitre 3 de l’Apocalypse : « Je me tiens à la porte et je frappe ; celui qui ouvrira, j’entrerai chez lui et je prendrai mon souper avec lui et lui avec moi ». Ce sont des images évidemment mais des images qui nous parlent ; et il vient à nous à l’Eucharistie. Mais comment recevoir Jésus dans l’Eucharistie si notre âme est une porcherie ? Si nous recevions le président de la république… on rangerait la maison, on récurerait le sol, etc… si on reçoit le créateur de l’humanité, on le fait avec légèreté, c’est pas grave… « Dieu est bon, il pardonne tout ! »… Mais il ne faut pas prendre le Seigneur pour un imbécile !

Nous sommes appelés à nous laisser toucher par la miséricorde, transformés par la miséricorde. Et, peu à peu, à avoir une vie de relation de miséricorde, de personnes graciées, de personnes qui ont été « miséricordiées » (ce n’est pas un nom français mais une attitude), pour faire miséricorde à autrui ; c’est une circulation, comme dans notre organisme : le sang va dans toutes les parties du corps – c’est à souhaiter ! Nous sommes appelés au niveau surnaturel à ce que la miséricorde prenne toutes les parties de notre vie, de notre personne.

On peut se poser la question ce matin : « contre qui, j’ai de la rancœur ? » ; peut-être on n’en a pas ! « Contre qui, j’ai difficulté à pardonner ? » ; parfois plus qu’une difficulté !

Nous sommes invités avec la grâce de Dieu, à faire un acte d’abord intérieur de pardon, qui est un acte libérateur. La non-miséricorde, le non-pardon, crée en nous comme une sorte de mort, une nécrose en nous ; et peu à peu, nous risquons de pourrir tout en étant vivant, comme un cancer qui ronge physiquement. Le manque de miséricorde ronge l’âme en quelque sorte – l’âme reste toujours, mais est rongée – et nous fait dissemblant avec Dieu, dissemblant avec les autres. Plus nous recevrons la miséricorde, plus nous vivrons dans cette miséricorde, et bien, plus nous pourrons nous ouvrir à la miséricorde envers le prochain, recevoir la miséricorde des autres, parce que nous sommes pécheurs, nous avons péché contre les autres : nous avons dit des choses, posé des actes, qui font qu’il faut savoir demander pardon et recevoir la miséricorde des autres, mais aussi savoir pardonner aux autres. Il n’y a aucun péché que le Seigneur ne puisse pardonner. Tous les péchés sont pardonnables. Il n’y a donc aucun péché qui ne puisse pas être pardonné par un être humain.

Le Seigneur dans l’Évangile nous dit : « Tous les péchés seront pardonnés sauf un : d’avoir péché contre le Saint Esprit ». Pécher contre le Saint Esprit, c’est s’endurcir sans s’ouvrir à la grâce ; c’est pas simplement un moment particulier où l’on dérape – parce que tout dérapage est ressaisi par le Seigneur – c’est de s’enkyster, de se cristalliser, de se durcir, de devenir comme du granit, et de refuser la miséricorde ; là, nous allons droit à la condamnation éternelle. C’est un fait. C’est la foi catholique !

Dieu peut toujours faire miséricorde (nous ne sommes pas là pour savoir qui est sauvé et qui n’est pas sauvé) ; on est certain de la miséricorde de Dieu, on n’est moins certain de souffrir de la miséricorde ! Donc on peut demander cette grâce pour nous ; et pour tous les autres : dans nos familles, dans nos proches, des gens qui sont têtus et qui ne voudraient jamais changer. Dans la société, c’est pareil : il y a des gens qui ne veulent pas de la miséricorde… au niveau international, c’est pareil : des guerres, on tue, on massacre – et toujours les innocents… au lieu de dialoguer, de demander pardon et de pardonner… non ! On fait de la surenchère ; on produit des armes, on va tuer davantage ; c’est la loi de la jungle ! Jusqu’au dernier moment où ce sera une espèce de suicide collectif, où à force de manquer de miséricorde, tout le monde sera mort.

Nous sommes appelés vraiment à nous ouvrir, et à rendre au Seigneur qui ne demande qu’une chose : de déverser sa miséricorde en nous. Nous ne devons jamais douter de la miséricorde du Seigneur, quelle que soit la nature de nos péchés ou de nos difficultés, et nous pouvons toujours pardonner à autrui, quelle que soit la faute qu’il a commise envers nous.

Alors demandons dans cette Eucharistie, cette grâce de la guérison intérieure, cette grâce de la libération ; quand quelqu’un sort de prison, on dit : il y a une « lever d’écrou »… peut-être ce matin faisons une « levée d’écrou », d’abord envers soi-même, mais aussi envers les personnes envers qui nous avons de la rancœur, voire de la haine ; et de vraiment pardonner. Ainsi nous pourrons vivre dans cette circulation de la miséricorde, la miséricorde est un moment, mais c’est comme un trait de stylo : c’est une succession de points où l’encre s’écrit (ou une succession de points sur l’ordinateur).

Nous sommes appelés à rentrer dans ce mouvement de miséricorde, une circulation de Vie, afin de recevoir la Vie, et d’être vraiment des hommes et des femmes, des fils et des filles de Dieu, qui vivent de l’adoption filiale. Mais cette adoption filiale, cette paternité, implique nécessairement la fraternité envers nos frères et sœurs en humanité, pas une rupture. C’est nous qui créons la rupture, ce n’est pas Dieu !

Et de vivre vraiment comme Jésus nous a aimés, que ce soit la joie de ce jour et la grâce de cette Messe.

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