Homélie du Dimanche 1er août 2021 – 18ème dimanche du temps ordinaire – Année B

Par le Père Laurent Stalla

Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur. Le style oral a été conservé.

 

Le Christ, nouvelle manne et pain de vie éternelle

1/ « Qu’est-ce que c’est ? »

« Quoi ? » demande une mère à son enfant qui vient de découvrir un fond du vallon de Sénanque, un ensemble de bâtiment qu’il allait visiter. « C’est une abbaye » lui répond sa mère. « Qu’est-ce que c’est, … une abbaye ? » demande l’enfant toujours plus curieux. Et l’enfant de s’ouvrir alors à tout un vocabulaire tel que « cloitre, moines, abbatiale, ordre monastique, cistercien… », et par ces mots, s’ouvrir à tout un univers de vie qui lui était alors inconnu et très loin de son quotidien.

A travers cet exemple, s’illustre la parole du poète René Char, « comment vivre sans un inconnu devant soi ? ». Il apparaît que l’être humain – tout être humain – du nourrisson au vieillard – se nourrit de « paroles ». Irrésistiblement dès l’enfance, l’être humain conçoit du sens et ce sens l’aide à vivre. Il conçoit une signification de sa vie et découvre une possible finalité heureuse de son existence.

Le sens est au moins aussi vital que de s’alimenter pour donner de l’énergie à son corps ; c’est ce que nous appelons la vie de l’esprit. Sans le dynamisme de l’esprit, sans cap dans la vie, même la nourriture du corps perd de sa saveur. La vraie saveur de la vie vient du sens des choses, on l’appelle la sapitentia, la sagesse.

Donc, autant nous savons nous nourrir de bonnes choses, autant nous devons apprendre à bien nourrir notre esprit et nos pensées !

Aujourd’hui, nous savons veiller à la toxicité des aliments, mais bien moins à la toxicité des paroles et des idées.  Nous savons – en particulier en cette période de pandémie – surveiller la santé des corps, mais nous semblons moins inquiets de la santé de l’esprit, car plus personne ne sait trop qui croire, quoi croire et le corps social s’intoxique du manque de confiance …

Je vous dis cela parce que la liturgie de ce dimanche, est toute entière orientée vers le don d’une nourriture qui rendra à la fois vigueur et confiance au peuple !

2/ Le récit de l’Exode dont nous avons entendu un passage, met en lumière la difficulté que rencontrent les fils d’Israël dans le désert. Fraîchement délivré de l’oppression de l’Egypte, ils se retrouvent libres mais affamés. Ils se plaignent et accusent Moïse et Aaron, qui n’ont fait qu’obéir à Dieu. Ils récriminent donc contre Dieu !

C’est là tout le paradoxe de la condition humaine : quand le ventre prime sur l’esprit, nous oublions ce qui est tout aussi – ou plus – nécessaire que de manger, c’est de comprendre !

Le peuple a faim et ne cherche plus à comprendre le sens de son Exode, le sens de sa sortie d’Egypte, de sa marche vers « une terre ou ruisselle le lait et le miel », une marche vers la vie. Non, il a faim et n’entend plus rien que le cri du ventre et devient insensible à la présence de Dieu. Ce peuple, c’est nous. Et Dieu n’est pas rancunier, au contraire, il est magnanime, il est grand et va les faire grandir ! Ainsi, s’il faut nourrir leur corps, il faut nourrir aussi leur esprit et Dieu va faire les deux !

Et puisque l’esprit se nourrit de paroles pour comprendre, comprendre ce que nous sommes en train de vivre, ici, vous et moi durant notre séjour terrestre, Dieu nous fait le don de sa Parole.

Ce que Dieu veut pour son peuple, ce n’est pas seulement leur donner de quoi apaiser leur faim, c’est les nourrir de sa Parole, car « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu », et c’est cela qu’ils doivent comprendre. L’énergie de l’homme lui vient plus par les paroles qu’il assimile, par le sens qu’il conçoit, que par ce qu’il absorbe.

Dieu va faire comprendre à son peuple qu’il ne doit pas s’inquiéter des difficultés qu’il traverse, mais s’inquiéter d’abord de connaître qui le conduit, d’éprouver la bonté de Celui qui pourvoit pour sa vie !

Il y aura donc le don d’une forme étrange de pain. « Je vais faire pleuvoir du pain pour vous, le peuple le recueillera chaque jour ». Notez que Dieu dit « ainsi je le mettre à l’épreuve ». C’est ainsi qu’il veut fortifier le peuple, le faire grandir pour qu’il s’attache à Lui !

Lorsque les fils d’Israël virent au petit matin, une fine couche de rosée, comme du givre sur le sol, ils se dirent l’un à l’autre « mann hou’ », ce qui veut dire « qu’est-ce que c’est ? »

Ce pain est devenu dans notre langage courant la « manne », c’est le nom donné par les hommes au don de Dieu; Dieu n’a pas tant donné la « manne », comme s’il avait un stock de manne à disposition pour éblouir son peuple. Non, Dieu ouvre les yeux de son peuple sur une réalité qu’ils ignoraient. Et quand on ne connait pas quelque chose que l’on découvre, on se dit invariablement « qu’est-ce que c’est ? » Autrement dit, Dieu nourrit son peuple en le mettant face à ce qui le dépasse, et voilà ce qui nourrit l’homme ! La manne, c’est d’abord une question « qu’est-ce que c’est ? » Ils ont mangé du « qu’est-ce que c’est ? » Ils se sont nourris d’une question ! Ce pain est le signe de notre ignorance du sens de l’œuvre de Dieu, et c’est paradoxalement cela qui peut nourrir notre esprit, notre intelligence et finalement notre confiance. Faites confiance à Celui qui mieux que vous sait où il vous conduit.

S’il est vrai que rien ne nourrit plus l’homme que les questions qu’il se pose, alors il faut que nous nous aidions à nous poser des questions ? Une question est une vitamine pour l’esprit. Et les enfants se nourrissent des questions qu’ils posent en répétant sans cesse « pourquoi ? » et « qu’est-ce que c’est ? » ou « à quoi ca sert ? » ou encore « comment ca marche ? ».

Retenons que Dieu nourrit son peuple en le mettant face à son ignorance, qui suscite une question, et cette question « mann hou » ouvre son cœur et son intelligence à la rencontre de Celui qui vient fortifier sa confiance. Il s’agit maintenant de passer du don au Donateur, car « Celui qui donne est plus important que la chose donnée » expliquait le Pape Benoit XVI.

3/ C’est cette même logique qui préside à l’échange de Jésus avec ses disciples ; ils ont vu la multiplication des pains, ils sont contents parce qu’ils ont eu à manger. Mais Jésus veut leur donner une nourriture qui apaisera pour toujours leur faim et leur soif. Une nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle.

Jésus rappelle que le don de la « manne » venait de son Père et qu’ils sont eux aussi devant une « nouvelle manne – une nouvelle question » : « qui est Jésus ? » Comment peut-il nous donner sa chair à manger ? Et la question devient : « que contient ce pain, dont Jésus nous dit qu’il est la vraie nourriture des hommes ? »

Il contient, frères et sœurs, ce dont nous avons tous le plus besoin, cette lumière vitale à toute l’humanité : il contient la paternité de Dieu sur notre vie, il contient le Père.

Oh dit comme cela, cela ne semble pas si essentiel ! Mais, là encore, il s’agit de passer du Don au Donateur :  en se donnant, Jésus, le Fils éternel, nous donne le Père éternel !

Ce pain est le pain des enfants de Dieu ! C’est le pain qui renouvelle la conscience d’être plus que de simples organismes biologiques et mortels, c’est le pain qui nourrit notre conscience d’être des enfants de Dieu !

Et de quoi croyez-vous que l’humanité manque le plus aujourd’hui ? De quoi l’humanité est-elle affamée sinon de connaître la signification véritable de son passage sur terre ! Oh, le pain que  Dieu nous donne ne résout pas d’un claquement de doigt, les problèmes de famines qui menacent. Mais, il ouvre le cœur à un horizon plus profond de nos vies, il ouvre les yeux sur le frère et donne la force de lutter pour la justice.

En Jésus, nous recevons la parole vivante du Père qui nourrit notre propre vie spirituelle, et fait de notre vie un pain pour les autres. Il y a un pain qui nourrit le corps qui va mourir à la vie de ce monde, et il y a un pain qui nourrit l’enfant qui va naître à la vie du ciel !

Ce que nous aurons conçu les uns et les autres, comme sens de l’existence, nous constitue plus profondément, plus essentiellement que ce que notre corps donne à voir ! En Jésus nous recevons le pain qui nourrit notre vie intérieure, qui nous permet d’oser dire « notre Père » et de concevoir l’amour sans mesure dont le Père nous aime ! Jésus est en personne le pain qui nourrit la vie de l’amour ! Il fortifie en nous la capacité de nous donner par lui, avec lui et en lui !

Si donc, en Jésus, nous sommes nourris de la conscience de notre véritable filiation, c’est que dans ce pain que nous allons recevoir, nous est donné l’Esprit-Saint !

“Envoie sur nous ton Esprit,

Qu’Il demeure en nos âmes.

Qu’Il nous donne de chanter le Père,

Père de Gloire éternelle,

Père de grâce puissante,

Qui éloigne notre faut” chante les moines.

4/ Chrétiens, de quoi serons-nous les témoins pour notre époque ? De quoi sinon de ce que l’homme est « de Dieu », il est « par Dieu » et il est « pour Dieu ». La Lumière du Christ ressuscité atteste que notre vie n’a pas la mort pour seul horizon, mais la Vie ! La Vie en tant qu’elle est une union de joie au Père des Cieux !

Le chrétien n’est pas meilleur que les autres, mais il a reçu une connaissance meilleure de ce qu’est la signification de son existence, de sa destinée. Il n’y est pour rien, c’est un don reçu gratuitement.

Le chrétien n’a pas moins peur de mourir que les autres, mais il sait que l’Esprit de Jésus lui donne de voir la Vie dans la mort, et l’espérance d’une résurrection bienheureuse à l’heure du jugement.

Notre époque tente tout ce qu’elle peut pour se convaincre que vivre sans Dieu offre une vie plus digne, peut-être plus libre ! Or en se coupant de Dieu, l’homme perd le fil de sa propre humanité ! S’il ne vit pas pour entrer dans la Vie, il vit pour ce monde seulement et n’échappe pas à l’absurdité et au non-sens !

Combien de nos contemporains sont affamés aujourd’hui d’un sens différent de leur existence ? Qui leur donnera le pain du sens ? Qui les ouvrira à la rencontre de Jésus ?

Qui sinon chacun de nous, que l’Esprit-Saint va consacrer dans un instant pour faire de nous un pain vivant pour la vie du monde ! Nous sommes le Corps du Christ, ensemble nous ne formons qu’un seul Corps, le Corps du Christ, l’Eglise afin qu’à sa lumière le monde ne sombre pas à la résignation au mal, au non-sens et finalement au désespoir.

Alors, s’il fallait conclure par une question, reprenons la question du départ : « qu’est-ce que c’est une abbaye ? » C’est un lieu ouvert où l’on implore le Pain du Ciel pour le monde. C’est un lieu où l’on goute la tendresse du Père qui pourvoit pour ses enfants et où l’on vit la parole de St Paul : « Laissez-vous renouveler par la transformation spirituelle de votre pensée. Revêtez l’homme nouveau ».C’est un lieu où chaque jour comme dans cette chapelle, monte vers le Père, l’ardente prière des moines pour que brille la lumière du Ressuscité dans le cœur de ses fidèles.

Unissons-nous à la prière des moines par la prière quotidienne que chacun et chacune d’entre nous saura offrir au Seigneur. Cette prière est propre à chacun, elle est personnelle et secrète, mais tant qu’elle est là, elle élève le monde et revêt l’humanité d’une immense dignité. Amen.

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