Chers frères et sœurs
Plusieurs fois au cours de sa marche vers Jérusalem, Jésus a évoqué devant ses disciples le malentendu qui les menaçait au sujet de sa mission et de l’interprétation trop tangible de l’avènement de son Règne. C’est la fameuse tentation messianique mondaine qui obligeait Jésus à demander souvent à ceux qu’Il guérissait, de « garder le silence ».
De là est née, parmi les exégètes, l’appellation du « secret messianique » ; l’opinion populaire en effet, et la grande majorité des chefs Juifs, attendaient de Dieu avec l’avènement du Messie une libération d’ordre politique. L’ambiguïté perdure encore chez beaucoup de Juifs croyants, et même chez certains Chrétiens, c’est pourquoi il est bon de rappeler son sens spirituel au cours de la liturgie de la Parole de ce dimanche.
A la question incongrue des deux disciples, Jacques et Jean (de pouvoir siéger l’un à la droite de Jésus, l’autre à sa gauche, dans sa gloire), la réponse de Jésus est claire et nette : « Vous ne savez pas ce que vous demandez ». Ce qui évoque la sentence toujours valable d’un verset du prophète Isaïe : « Combien vos pensées sont éloignées de Mes pensées ». Pourtant Jésus semble leur tendre une « perche » en leur proposant, pour participer à Sa gloire, « de boire à sa coupe (sa coupe d’Alliance) et d’être baptisé d’un même baptême (du baptême d’eau et d’Esprit) ».
Les disciples avant la Pâque ne sont pas encore à la hauteur spirituelle pour comprendre le paradoxe du Mystère pascal auquel le Christ les invite. Ils ne se remémorent pas alors les prophéties du « Serviteur souffrant » d’Isaïe, dont nous avons entendu l’une d’elles en Première lecture : « Parce qu’Il a connu la souffrance… le juste mon serviteur justifiera les multitudes ». Ils parviendront de fait à les saisir qu’après la Résurrection et surtout avec la grande illumination de la Pentecôte. Saint Paul quelques années après, aura également la grâce, lui, lors de sa conversion, de recevoir une vue synthétique de ce Mystère dans le cadre global du Corps vivant de l’Église en formation.
La suite du récit nous rapporte que les autres disciples avaient entendu cette requête et s’étaient indignés : ils étaient jaloux sans doute de la prétention des deux frères, de demander une telle préséance… La tentative d’envisager cette prise de pouvoir leur déplaisait fort ; mais n’ambitionnaient-ils pas eux aussi sans le dire, pareille chose ? Car c’est une manifestation commune de l’homme pécheur de « convoiter d’être premier », n’est-ce pas d’ailleurs l’expression d’un désir idéal que nous portons tous : d’être des plus proches du Seigneur dans sa gloire !
Comme l’affirme la lettre aux Hébreux de la Deuxième lecture, Jésus est « le grand prêtre par excellence » ; Il n’ignore pas, avant sa Pâque, que pour entrer dans la Gloire du Père, il lui revient d’obéir à Sa volonté, Il doit passer par l’épreuve du feu.
Il lui faut consentir à l’oblation totale de lui-même, acceptée et assumée dans le bain de l’amour divin à travers la douloureuse passion sacrificielle. Ne fallait-il pas que du cœur de la souffrance, et même de la mort, provenant d’Adam infidèle, le Christ puisse démontrer par ses paroles et son agir non plus la révolte mais la confiance en Dieu provenant du fils de la Vierge Marie.
Alors seulement Il pourrait entrainer derrière lui après sa Rédemption acquise, non uniquement les apôtres mais « toute l’humanité » en quête d’un Salut supérieur d’ordre spirituel ; sous l’action même de l’Esprit, il pourrait « la » (l’humanité) consacrer et « la » transfigurer dans la lumière divine de sa gloire…
En attendant, Jésus indique à ses apôtres le moyen de vivre sur terre en « serviteurs » dans l’Espérance, à la manière de vrais croyants : de ceux qui croient que le règne de Dieu est déjà commencé.
Aussi, il leur faudra désormais désirer de choisir spontanément la place de serviteur, apprendre à ne plus désirer aucun pouvoir, s’en remettre cordialement au Christ en tout !
Dès lors, frères et sœurs, comme les apôtres, il nous faut vivre sur d’autres bases, et d’autres désirs ; devenir de vrais serviteurs : tel est le critère du disciple de Jésus qui par amour pour nous a pris la dernière place ! Amen.