Homélie du dimanche 20 septembre 2020 – 25ème dimanche du Temps Ordinaire – Année A
Par le Frère Jean
Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur. Le style oral a été conservé.
Chers frères et sœurs,
Le quatrième Concile du Latran en 1215 dit que « si grande soit la ressemblance entre le Créateur et la créature, on doit noter encore une plus grande dissemblance entre eux ».
En effet, la Parole de Dieu, telle que nous l’adresse aujourd’hui l’Ancien Testament, nous donne à entendre et à voir le Seigneur dont « les pensées ne sont pas nos pensées », avons-nous entendu dans le prophète Isaïe et « ses chemins ne sont pas nos chemins ».
La transcendance de Dieu, car c’est bien de cela dont il s’agit, que Job reconnait après s’être battu avec Lui : « Je sais, dit Job, que tu es tout puissant ; ce que tu conçois, tu peux le réaliser ».
Ce Dieu, oui, qui dit de lui-même dans le prophète Isaïe :
« Je suis le premier et le dernier. Moi excepté, il n’y a pas de Dieu. Moi, le Seigneur, je parle avec justesse et je m’exprime en paroles droites ».
Le visage de Dieu que Jésus nous révèle dans la Nouvelle Alliance, n’est pas un autre Dieu que celui dont nous venons d’entendre la Parole dans l’Ancien Testament. Il n’y pas deux dieux : un Dieu loin et transcendant, Celui que nous montrerait l’Ancien Testament, et un Dieu proche et familier aux hommes, Celui que nous rencontrons en Jésus dans le Nouveau Testament.
Non !
Les Écritures sont unes. Dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament, c’est le même Dieu qui est offert à notre foi de croyant.
Pour Origène, l’un de nos Pères dans la foi au IIème siècle : « l’Écriture toute entière est le seul instrument de musique de Dieu parfait et accordé ».
Jésus, en venant planter sa tente parmi nous, n’a pas révélé un Dieu différent de Celui que donnait à recevoir la loi de Moïse.
En sa Personne durant sa vie publique, Jésus manifeste à la fois la transcendance de Dieu comme par exemple : lorsque monté dans une barque avec les disciples et qu’ils sont surpris par la tempête, Il menaça le vent et dit à la mer « Silence, tais-toi ! ».
Ce même Jésus, manifestant aussi, sa proximité à l’égard du prochain qui souffre : en voyant « la veuve de Naïm » qui marchait derrière la civière de son fils unique, mort, Jésus fut pris de pitié pour elle et lui dit « Ne pleure pas ! ».
Ce Dieu infiniment transcendant, qui en Jésus, devient infiniment proche de l’homme.
Transcendance de Dieu dont « les chemins ne sont pas nos chemins », et proximité de ce même Dieu qui dit en Isaïe : « Vois donc je t’ai gravé sur les paumes de mes mains » ou comme dit une traduction contemporaine « Je t’ai tatoué sur mes mains ! ».
C’est ce visage de Dieu, frères et sœurs, dont les ouvriers de la vigne de ce jour font l’expérience mais sans comprendre.
« Ils murmuraient, nous dit la Parole de Dieu, contre le maitre de la maison ».
Ils murmuraient parce qu’ils ne comprenaient pas ! Leur notion de justice s’en trouve bousculée ; et la nôtre avec eux… reconnaissons-le.
Dans le langage profane en effet, est juste ce qui est conforme aux droits d’une personne. Mais pour la Bible, la norme qui fait qu’une action est juste n’est pas en conformité avec la notion du droit de l’homme, mais en conformité avec le dessein de Dieu qui transcende la justice humaine. La justice divine qui ne piétine pas la justice de l’homme mais qui l’élève, qui l’accomplit, qui la perfectionne.
Le juste, pour la Bible, c’est celui qui conforme sa conduite à la loi divine. Avoir faim et soif de justice, c’est avoir, avant tout, faim et soif que la volonté de Dieu soit faite ! Comme nous le demandons tous les jours dans le « Notre Père ».
La justice, selon une première définition des premiers siècles, c’est donner à chacun ce qui lui est dû ; et Dieu ne piétine pas cette notion de la justice.
L’attitude du maitre de maison de l’évangile de ce jour ne contredit pas cette maxime : « Mon ami, je ne te fais pas de tort, n’as-tu pas convenu avec moi d’une pièce d’argent ? »
Mais voici que le Seigneur veut nous emmener au-delà de cette notion de justice « ric-rac » – comme on dit aujourd’hui – qui dépasse l’entendement divin ; et cela n’est pas aisé pour les hommes de rentrer dans cette démarche, et ce n’est pas aisé pour Dieu non plus de nous le faire comprendre.
Platon disait déjà, 450 ans avant Jésus Christ : « si un homme pleinement juste venait sur terre, sa justice serait tellement insupportable aux hommes qu’on le prendrait, qu’on lui crèverait les yeux et qu’on l’empalerait »… c’est exactement ce qui est arrivé à Jésus. Le Juste par excellence a été empalé parce qu’il était trop juste.
Cette justice selon Dieu passe en effet pour « folie » aux yeux des hommes. Comme disait déjà St Antoine le Grand, l’un de nos pères dans la vie monastique : « Un temps viendra où les hommes seront tellement fous, qu’ils se jetteront sur toi et te mettront à mort pour la seule raison que tu n’es pas fou comme eux ! »
Ce que nous appelons parfois « folie de Dieu » n’est folie que par rapport à nous. Et St Paul l’avait bien compris… relisons la Lettre aux Corinthiens.
En Dieu, cette folie signifie seulement la gratuité absolue de la communication de Dieu :
« Vas-tu regarder avec un œil mauvais parce que moi, je suis bon ? »
Cette Parole de Jésus nous interpelle, frères et sœurs. Il y a des êtres qui sont tristes de voir les autres s’aimer ou réussir.
Le commencement de la sainteté ne serait-il pas de reconnaitre que malgré l’inégalité de nos vies, il ne nous manque rien, si Dieu est avec nous !
À la Croix, celui que nous appelons « le bon larron » est entré au paradis avant même l’apôtre Pierre. « Ce sont les derniers qui seront les premiers ».
« S’il n’y avait que la justice, écrivait Charles Péguy, et si la miséricorde ne s’en mêlait pas, qui serait sauvé ? »
Oui, seul Dieu peut créer la justice : « Voici que je fais toutes choses nouvelles ».
Et la foi nous donne la certitude qu’Il le fait.
« C’est Dieu qui nous rend juste, dit St Augustin, non pas de la justice par laquelle, lui-même, Dieu, est juste mais de la justice qu’Il nous donne et qu’Il nous donne gratuitement ».
En effet, hier comme aujourd’hui, Dieu ne défend pas sa justice mais Il nous en fait avant tout le Don. Comme dit le prophète Jérémie : « Il est Dieu, notre justice ! ».
Que la Parole de Dieu, frères et sœurs, entendue et écoutée en ce jour, nous fasse entrer toujours plus profondément dans une plus grande intelligence du dessein de Dieu sur le monde, sur l’Église, sur chacun d’entre nous, et que notre vie s’en trouve transformée et illuminée.
Amen !