Il fallait que la voix de Jean le Baptiste se taise, s’abaisse, dans l’humilité de la prison puis de la mort pour que Jésus, en quelque sorte, apparaisse sur la « scène » ; mystérieusement, Jésus attendait que Jean Baptiste ait accompli sa mission d’annoncer la Parole, pour que la Parole qu’est Jésus, la Parole faite chair se déploie. Aujourd’hui, après l’arrestation de Jean Baptiste, le ministère de Jésus commence, le ministère public de Jésus est initié.
Et cette Parole du Verbe fait chair, elle retentit parmi nous, et nous l’honorons de façon toute particulière en ce jour où le Pape François, a demandé que dans l’Église, le troisième dimanche du Temps Ordinaire soit aussi appelé « le dimanche de la Parole de Dieu », pour mettre en valeur ce grand trésor que l’Église a reçu, qu’est celui de la Parole de Dieu, que nous appelons la Bible.
La Bible appartient avant tout au Peuple de Dieu. Elle n’est pas la propriété privée des docteurs en théologie ou de ceux qui ont étudiés (même si c’est important de l’étudier !), mais c’est le Peuple de Dieu qui en est le réceptacle, convoqué pour l’écouter et pour se reconnaitre dans cette Parole.
La Bible, c’est le Livre du Peuple du Seigneur, que nous sommes, et qu’est, avant nous, le Peuple d’Israël, qui dans son écoute, passe de la dispersion et de la division à l’unité. La Parole de Dieu unit tous les croyants et les rend un seul Peuple ; c’est cette écoute de la Parole qui nous unit en Église. Elle n’est pas une parole d’homme, comme dit st Paul, mais la Parole de Dieu.
Pour nous disciples de Jésus, toutes les Écritures parlent du Christ et annoncent le Christ, depuis le début de la Genèse jusqu’à la fin de l’Apocalypse. Le sens de la mort de Jésus et de sa résurrection est indéchiffrable sans les Saintes Écritures. L’une des confessions de foi les plus anciennes que nous trouvons en St Paul dans sa première lettre aux Corinthiens souligne que « le Christ est mort pour mes péchés conformément aux Écritures ». Comme le dira st Jérôme : ignorer les Écritures, c’est ignorer le Christ.
Le lien entre l’Écriture Sainte et la foi, frères et sœurs, est profond. « Puisque la foi provient de l’écoute, et que l’écoute est centrée dans la Parole de Dieu », comme dit la Lettre de st Paul aux Romains ; il est capital alors de consacrer du temps à l’écoute de la Parole de Dieu, tant dans l’action liturgique que dans la prière et la réflexion personnelle. Et ce jour de repos dominical qui nous est donné le Dimanche, pour les chrétiens, c’est un jour privilégié pour donner du temps à l’écoute, à l’étude et à la méditation priante de la Parole de Dieu.
Comme nous l’enseigne le récit bien connu des disciples d’Emmaüs, il y a un rapport étroit entre l’Écriture Sainte et l’Eucharistie, la table de l’Écriture et la table de l’Eucharistie.
Vatican II enseigne, que « l’Église a toujours vénéré les divines Écritures, comme elle le fait aussi pour le Corps-même du Seigneur, elle qui ne cesse pas, surtout dans la Sainte liturgie, de prendre le Pain de vie de la table de la Parole de Dieu et de celle du Corps du Christ pour l’offrir aux fidèles ». DV. 21
Il s’agit bien évidemment là de deux types de présence spécifiques : la chair du Christ et la Parole inspirée. Comme le dit encore le Concile Vatican II : « De même que l’Eucharistie est un Banquet pascal, ainsi la Parole de Dieu est nourriture de l’âme, source pure et intarissable de vie spirituelle. Par conséquent, nous devons constamment garder à l’esprit que la Parole de Dieu, lue par l’Église et annoncée dans la liturgie, conduit à l’Eucharistie comme à sa fin naturelle ».
L’Eucharistie nous ouvre à l’intelligence de la Sainte Écriture comme la Sainte Écriture illumine et explique à son tour, le mystère de l’Eucharistie. En effet, sans la reconnaissance de la Présence réelle du Seigneur dans l’Eucharistie, l’intelligence de l’Écriture devient incomplète. Dieu se révèle non seulement dans un Livre mais dans l’histoire d’un Peuple, le Peuple d’Israël, et dans l’histoire du prolongement du Peuple d’Israël qu’est l’Église et le Corps des baptisés. Il y révèle le Mystère de sa Personne, il le fait non pas par le don d’un Livre qui tomberait du ciel, mais par sa Parole qui est capable de susciter une réponse de l’homme. Une Parole qui nous est donnée pour nous mettre en marche, pour nous transformer, et pour notre bonheur profond. C’est ce dialogue entre Dieu et l’homme, tissé au fil des générations et au sein du peuple d’Israël, qui constitue une Histoire Sainte. C’est dans cette Histoire Sainte que le surnaturel, la vie divine, vient s’insérer au cœur même de la liberté humaine. Le Christ en sa personne est l’accomplissement des Écritures, comme le dit le Credo, « il ressuscita d’entre les morts, selon les Écritures ».
La Lettre de st Paul aux Corinthiens que nous avons entendue, nous parle du kérygme, de l’annonce de la Parole de Dieu, de l’annonce de la foi : « Convertissez-vous ! Le règne de Dieu s’est approché ».
Ce que nous appelons le kérygme : c’est l’annonce du Royaume. Le kérygme qui a trois volets (peut-on dire) en proclamant :
que le règne de Dieu est présent,
qu’on y adhère par la pénitence, par la conversion, par le retour,
et qu’il consiste à croire à l’Évangile. St Paul nous a dit dans la Lettre aux Corinthiens : « Le Christ m’a envoyé pour annoncer l’évangile sans avoir recours à la sagesse du langage humain ». La sagesse : la sophia.
Ici, c’est une illustration d’un conflit qui existe depuis les origines du christianisme, entre la nouveauté de l’annonce de la Parole de Dieu et la sagesse du monde qui ne veut pas entendre la Parole de Dieu, et qui s’en détourne. St Paul écrit : « Ma parole et mon message (traduction du mot « kérygme ») ne s’appuient pas sur des discours persuasifs de sagesse (sophia : de sagesse humaine) mais sur la manifestation de l’Esprit et sa puissance pour que votre foi ne soit pas fondée sur la sagesse humaine mais sur la puissance de Dieu » 1 Co 2, 4-6.
La sagesse humaine insérée dans l’histoire, dans laquelle nous sommes plongés, doit faire alliance avec la vie surnaturelle, avec l’éternité, avec la Parole de Dieu. Nous sommes à la fois, dans le temps, dans l’histoire, et nous sommes en marche vers la plénitude du Royaume. L’Église est en pèlerinage continuel. Nous sommes comme nous le dit st Jean : « non pas du monde mais dans le monde ». Il y a une tension que nous vivons tous dans cette réalité de notre vie chrétienne, du fait que nous sommes pleinement insérés dans le monde, et que nous avons à coopérer pour que ce monde soit toujours plus conforme à ce que Dieu a voulu en faire, car ce monde sorti « beau et bon » des mains de Dieu est abîmé, fracturé par le péché. Et en même nous faisons l’expérience que le monde lui-même ne nous donne pas la plénitude de la Sagesse divine, celle qui vient d’En-Haut, il est incapable de nous la donner. Il ne s’agit pas de nous couper du monde, de nous séparer du monde, mais comme dit Jésus dans l’évangile : d’en être le sel, d’en être le levain.
La Parole de Dieu nous est donnée, aujourd’hui et chaque jour, pour nourrir notre foi, pour nourrir notre espérance ; la Parole de Dieu nous est donnée pour être des hommes et des femmes debout.
Cette Parole de Dieu qui nous unit au Christ, que nous écoutons, et que nous interprétons en l’Église, dans le Peuple rassemblé qu’est l’Église.
Que cette Eucharistie, que cette journée de « Dimanche de la Parole de Dieu », nous fasse grandir dans l’amour de la Parole de Dieu, pour qu’elle prenne chair en nous, qu’elle transforme notre cœur, et nous rende davantage et avec plus de vérité, disciples du Verbe fait chair. Amen !