Homélie du dimanche 22 mars 2020 – 4ème Dimanche de Carême, de Laetare – Année A
Par le Frère Jean
Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur. Le style oral a été conservé.
Chers frères,
Cette Parole de Dieu nous rejoint en ces jours d’épreuve où nous sommes tous, comme l’aveugle de ce jour, devenus mendiants de la miséricorde de Jésus.
Nous avons beau avoir fait un petit peu de théologie ou bien lu les Pères de l’Église, nous avons étudié la tradition de l’Église. On ne peut cependant échapper à la question, que tous ceux qui croient au Ciel, ou qui n’y croient pas, peuvent se poser en ces jours : pourquoi Dieu n’étend-il pas sa main et ne dit-il pas « maintenant ça suffit ! » ?
Nous l’avons si souvent entendu dans les Saintes Écritures. Par exemple, au 2ème Livre des Rois lorsque le cœur de David lui battit après avoir recensé le peuple. « Ah, tombons entre les mains du Seigneur, dit David, car sa miséricorde est grande ».
David choisit la peste parmi les châtiments que Dieu lui propose.
« Le fléau, dit la Parole de Dieu, frappa le peuple parmi lequel soixante-dix mille hommes moururent depuis Dane jusqu’à Bershéba. ».
Puis un peu plus loin : « L’ange étendit sa main vers Jérusalem (pour l’exterminer) mais le Seigneur se repentit de ce mal et il dit à l’Ange « Assez ! Retire à présent ta main », et le fléau s’arrêtât.
Même son de cloche, si j’ose dire, au chapitre XVIII de la Genèse, quand Dieu décide, face à la perversion des Sodomites de détruire la ville, et que fléchissant à la prière d’intercession d’Abraham, il conclut « je ne détruirai pas Sodome à cause des dix justes ». Abraham me fait ici penser à cette Matriona de Soljenitsyne que je citais il y a quelques jours :
« Nous tous qui vivions à ses côtés, n’avions pas compris qu’elle était ce « juste » dont parle le proverbe et sans lequel il n’est village qui tienne, ni ville, ni notre terre entière. »
Aujourd’hui notre humanité, notre société, frappée par l’épreuve qui se tient elle aussi « dans les ténèbres et à l’ombre de la mort », a besoin d’Abraham et de Matriona, sans lesquels il n’y ait ville ou village qui tienne, d’hommes et de femmes qui lèvent les mains vers Dieu et qui prennent sur eux le poids du péché.
Notre humanité a besoin d’homme, qui, comme David toujours dans l’épisode de la peste que j’ai cité dit au Seigneur : « C’est moi qui ait péché, c’est moi qui ait commis le mal. Que ta main s’appesantisse donc sur moi et sur ma famille ».
Ou comme le prophète Daniel : « Ah, Seigneur, nous avons péché ; nous avons commis l’iniquité ; nous avons fait le mal ; nous avons trahi… Au Seigneur notre Dieu, les miséricordes et les pardons car nous l’avons trahi et nous n’avons pas écouté la voix du Seigneur, notre Dieu ».
Comment ne pas penser, mes frères, à l’Agneau de Dieu prosterné aux Jardin des Oliviers, écrasé par le péché du monde mais non terrassé, dont St Luc nous dit qu’en priant : « sa sueur devint comme des caillots de sang qui tombaient en terre. »
Et St Paul ira jusqu’à dire que « Dieu l’a fait ‘péché’ pour nous. »
Mais revenons à notre question initiale : pourquoi Dieu qui « dit et cela est », n’étend-il pas sa main sur notre humanité qui gémit dans la douleur et ne dit-il pas « Cela suffit ! »
Ici, surgit une question : ces douleurs que nous vivons, ne seraient-elles pas, pour reprendre St Paul, « les douleurs d’un nouvel enfantement » qui est en train de naitre ?
Notre société n’est-elle pas en train de vivre une purification douloureuse mais nécessaire qui la conduit non pas vers la mort, mais vers le Salut ?
(Ce que M. Macron disait à sa façon lundi dernier quand il disait : « Je suis sûr qu’après cette pandémie notre société ne sera plus demain comme elle l’est aujourd’hui »)
Lui, Jésus, qui est la miséricorde faite chair.
Nous qui avons la grâce de connaitre toute l’histoire du Salut, mieux qu’Abraham et mieux que David, nous savons, comme le disait ce matin St Bernard dans la lecture de Vigiles, que :
« Le Nom de Jésus est une huile bénie répandue chez les hommes qui, comme des bêtes, croupissaient sur leur fumier ! …Comme il est cher ce Nom de Jésus » disait Bernard « et comme il est bon marché ! Bon marché mais bon pour la santé ! La plénitude de la divinité a été répandue afin que nous tous, qui portons un corps de mort, nous nous emparions de cette plénitude, et qu’imprégnés de cette plénitude, imprégnés de cette odeur de vie, nous disions : « ton Nom est une huile répandue ».
Et aujourd’hui plus que jamais cette huile se répand sur notre humanité qui gémit.
Enfin une dernière question, et en tout cela, nous ne nous éloignons pas de notre aveugle de ce jour : pourquoi cette épreuve ?
Allons plus loin : pourquoi ce châtiment ? Quel en est la finalité ?
Finalement la question la plus importante : quel en est le sens ?
Jésus nous répond : « Pour que les œuvres de Dieu soient manifestées ».
Encore une fois, nous qui avons la grâce de connaitre toute la révélation, nous pouvons répondre :
pour que soit manifesté la miséricorde de Jésus !
Il serait quasi blasphématoire, comme le disait l’Abbé Général, de penser que Dieu provoque cette épreuve pour nous en délivrer en disant : « voyez comme je suis bon, voyez comme je suis miséricordieux ».
Non, la Sainte Écriture nous enseigne qu’au cœur de l’épreuve, la lumière de la résurrection est déjà présente. Ou comme aimait à nous le répéter le Père Feuillet dans son cours d’exégèse : « l’Ancien Testament, c’est toujours cela, sur fond de ruines, le Salut ! »
Ce sont les yeux de la foi qui nous font percevoir ce Salut.
Peut-être sommes nous comme cet aveugle, qui bien qu’ayant reçu la vraie lumière du baptême, nous sommes retombés dans une certaine cécité : celle du doute, de la tiédeur de la foi.
« Je suis venu afin que ceux qui ne voyaient pas, voient, et que ceux qui voyaient, deviennent aveugles » poursuit Jésus.
Cette Parole doit nous interpeller.
« Et moi ne serais-je pas plus ou moins aveugle ? »
Alors, prions avec St Newman :
« Conduis-moi douce lumière,
À travers les ténèbres qui m’encerclent.
Conduis-moi toujours plus avant ».
Seigneur, ouvre mes yeux… et ma bouche publiera ta louange.
Amen !