Frères et sœurs bien aimés,

Cette parole de l’évangile est forte, elle est exigeante. Et ce passage évangélique a un point central, comme un pivot, un pivot qui permet d’orienter vers deux directions : tout d’abord vers le Père des cieux, et puis vers nos semblables. Agir comme le Père le veut, agir comme lui-même agit par son Fils. Si la caractéristique du christianisme est l’amour, l’Agapè, qui signifie l’amour même dont Dieu s’aime lui-même, l’amour trinitaire qui nous est partagé… oui, si la caractéristique du christianisme est l’amour, cette amour qui vient à nous s’appelle la miséricorde.

Oui, c’est un amour de miséricorde qui vient nous toucher, nous ressaisir. Un amour qui vient de Dieu, qui est reçu de Dieu, et qui est appelé à être partagé entre nous. C’est bien cet amour de miséricorde, frères et sœurs, qui doit être au cœur de notre existence, et cela en toute circonstance, non pas à géométrie variable, ou selon l’humeur des jours. Le Père des cieux, qui est principe de la Trinité, source de la Trinité, qui n’est pas supérieur au Fils ou à l’Esprit mais qui a comme caractéristique dans sa Personne de Père d’être source de la Trinité… et bien ce Père des cieux nous révèle et nous montre ce qu’il est et ce qu’il veut, par son Fils Jésus de Nazareth qui est comme son empreinte, son image vivante, sa manifestation totale et définitive. Jésus, notre Seigneur, qui est le Christ, Fils de Dieu, par sa vie, par ses paroles, ses actes, ses actions, nous révèle qui est le Père, qui est son Père et qui est notre Père… et ce qui lui plaît, ce qu’il attend de nous.

Dieu attend quelque chose de nous ! Si le Père, qui est principe de la Trinité, manifeste sa volonté, il est également source de ce que l’on appelle « l’économie divine », un mot un peu compliqué qui veut dire simplement « le dessein de Salut » du Père, qui va s’exprimer et se réaliser par son Fils Jésus. Jésus, qui est l’expression parfaite du Père et la réalisation plénière du Salut qui permet aux êtres humains, chacun et chacune d’entre nous, de se conformer à lui, de le suivre, de l’imiter.

C’est dans l’Esprit Saint que chacun et chacune d’entre nous recevra la force vivifiante de pouvoir mettre en application cette imitation du Christ Jésus, cette sequela Christi, cette suite du Christ, qui n’est pas réservée simplement aux religieux, mais à tous les baptisés ; et tous les hommes sont appelés à recevoir le baptême.

Oui, d’imiter le Christ et de persévérer sur ce chemin de vie et de vérité qui n’est autre que la Personne même de Jésus : « Qui m’a vu, a vu le Père », dit Jésus, « Je vous donnerai et je vous enverrai l’Esprit, l’Esprit de vérité qui vous conduira vers la vérité tout entière ».

Frères et sœurs, c’est par son Fils que le Père nous manifeste sa miséricorde inépuisable, comme dit le Canon Romain, la première prière eucharistique, sa miséricorde infinie qui vient nous sauver et nous sanctifier. Son amour nous rejoint comme miséricorde, c’est-à-dire un amour miséricordieux qui pardonne, qui guérit, qui sanctifie, qui transfigure, qui nous change de l’intérieur. Il n’y a que Dieu qui peut ressaisir l’être et le transfigurer.

C’est le Salut éternel donné et proposé à tous par le Christ Jésus dans son évangile, par l’évangile, l’évangile qu’il est lui-même, c’est-à-dire la Bonne Nouvelle.

C’est ainsi que nous pouvons comprendre, saisir, et commencer à mettre en pratique, les exigences que Jésus attend de nous, et qui sont décrites dans ce passage évangélique très fort de ce jour, cet amour inconditionnel révélé, manifesté par Jésus dans sa propre vie. C’est lui, Jésus, qui a mis en pratique ce qu’il demande présentement aux autres, comme les Béatitudes. Jésus a vécu les Béatitudes et est à la fois la béatitude vers laquelle nous tendons. Cette attitude de miséricorde, de compassion, de pardon est à transcrire dans chacune de nos vies et les circonstances particulières qui les jalonnent. Ce n’est pas une méthode technique pour apprendre la miséricorde en quelques leçons, pour avoir une vie réussie … c’est le reflet concret de notre foi, la foi et les actes pour reprendre la lettre de saint Jacques ; c’est la nécessaire cohérence de notre suite du Christ. Nous sommes incohérents et nous sommes appelés peu à peu à avoir une vie unifiée, cohérente et qui, comme un vecteur, nous conduit vers le but. C’est le témoignage par des actes de notre Credo, et pas simplement les paroles ou les grandes valeurs ; ce n’est pas un mimétisme limité, ni rationnel, ni réfléchi, c’est comme l’incarnation de la Présence du Ressuscité au cœur de notre vie, dans les défis de notre vie tels qu’ils se présentent aujourd’hui, et l’action de l’Esprit Saint dans des faits intérieurs ou extérieurs du parcours terrestre de chacun et de chacune.

Et pour cela, nous sommes appelés à nous référer en permanence à la passion du Christ. Les saints et les saintes aiment à contempler la passion du Christ, c’est-à-dire l’expression de son Amour. Nous avons une référence dans la passion du Christ lorsque le soldat gifle Jésus ; Jésus ne lui dit pas « vas-y continue » ; Il lui dit : « Si j’ai mal parlé, dis ce que j’ai dit de mal. Et si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » ; Jésus n’a pas tendu l’autre joue ! Donc il ne s’agit pas d’un mimétisme, d’une répétition, d’une scène de cinéma qu’on reprend cinquante fois parce qu’il y a toujours la petite scène qui ne va pas…c’est de vivre dans la puissance de l’Esprit Saint les défis de notre vie.

C’est l’offrande de Jésus et la nôtre que nous célébrons maintenant, quand le prêtre vient à l’offertoire pour offrir (on s’offre tous ensemble) … oui, l’offrande de Jésus, et la nôtre, dans le monde marqué par le péché et défiguré par le péché, mais aussi sauvé et sanctifié par la Présence de la grâce trinitaire. Frères et sœurs, c’est prendre sur soi le péché d’autrui. Voilà l’Amour… Et savoir mourir pour les autres comme font les martyrs.

Oui, prendre le péché de l’autre sur soi, prendre le risque de damnation éternelle de l’autre pour le conduire, par l’offrande de sa propre vie, pour le Salut d’autrui. C’est l’action même de Jésus à laquelle il nous fait participer en sollicitant notre liberté, notre amour, notre compassion, notre miséricorde.

Aimer comme nous sommes aimés, et parce que nous sommes aimés. Aimer comme le Père aime, comme Jésus nous le révèle et le vit, comme l’Esprit Saint nous en donne la lumière et la force. Et cela, aimer jusqu’au bout, ça peut être dans le mariage, la vie célibataire, la vie consacrée, sacerdotale, peu importe, tout le monde est concerné, chacun avec son propre chemin, et cela jusqu’à la mort, et jusqu’à en mourir. « Il faut que lui, Jésus, grandisse, disait le Baptiste, et que moi je diminue ».

Mais frères et sœurs, ne nous trompons pas, il s’agit pas de devenir atrophiés, de se mutiler pour arriver à quelque chose.

Ce Don reçu et donné, ce Don du pardon, de la miséricorde qui peut conduire jusqu’au témoignage suprême, du martyre, ce Don de l’abondance de l’Amour, est pour chacun et pour chacune et pour tous, une plénitude de vie.

Jésus ne nous demande pas d’accepter les difficultés, les souffrances, puis point final… c’est un chemin qui conduit à la Vie et qui est source de vie dès à présent. Car le Salut éternel est en action, si j’ose dire, aujourd’hui, dans tous les cœurs, dans le monde entier. Et c’est un Salut qui se fait dans la discrétion et le calme, par l’offrande de Jésus actualisée dans la vie sacramentelle et dans la vie de chaque baptisé, pour transfigurer le monde, illuminer le monde.

Et c’est dans la mesure où nous comprenons, et nous nous offrons par cette participation, que nous atteignons une plénitude de vie aujourd’hui et la réussite complète de notre vie.

Nous rejoindrons alors Celui par qui nous avons été créés et sauvés et pour qui nous vivons par amour, qui par grâce nous appelle et nous donne de participer à ce Salut, d’être des pierres vivantes de l’Église. Même si nous sommes une petite pierre dans l’édifice, mais Dieu aime les grandes pierres et les petites pierres puisque c’est Lui qui les a créées ; oui, et qui par grâce nous donne de participer réellement, et de vivre de son Amour qui est déjà présence du Royaume pour nous et appel au Salut pour tous.

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