Homélie du dimanche 24 Février 2019
7ème dimanche du temps ordinaire – Année C
Par le Frère Jean
Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur – Le style oral a été conservé
Voilà frères et sœurs, une page d’évangile après laquelle on se sent un petit peu comme ça ! Parce qu’on se dit « qu’il y a encore du travail sur la planche ! » pour chacun d’entre nous.
On peut dire que l’amour des ennemis est un précepte qui est vraiment caractéristique des disciples du Christ. Dans aucune autre religion, à ma connaissance, on ne trouve une pareille assertion « Aimez vos ennemis ! »
Mais plus qu’un précepte, l’amour des ennemis est d’abord la destinée de Jésus lui-même le Fils de Dieu, qui en sa passion se soumet volontairement à la mort « Père pardonne leur » – dit-il en parlant de ses bourreaux et s’adressant au Père – « Père Pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».
Il y a là, frères et sœurs, l’expression du Don total, du Don total qui va beaucoup plus loin que le simple pardon des offenses. C’est ce que St Paul dit de Jésus dans sa Lettre aux Philippiens, quand il écrit « qu’il s’est anéanti », « exinanivit » ; « il s’est anéanti jusqu’à la Croix… et cela – dit encore Paul – est scandale pour les Juifs et folie pour les païens »… et c’est encore scandale pour le monde d’aujourd’hui !
L’Ancien testament, frères et sœurs, n’allait pas aussi loin dans l’intelligence de ce précepte. Il prescrivait bien l’amour du prochain, et non pas l’amour des ennemis, mais même cet amour du prochain ne s’étendait qu’aux membres du peuple Juif, et si ce précepte concernait l’étranger, à fortiori l’ennemi, c’est uniquement en raison de la loi de l’hospitalité, comme en faisait le commandement le livre du Lévitique, où Dieu dit au peuple :« L’étranger qui réside avec vous… tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’Égypte » ; souviens toi lorsqu’un étranger frappe à ta porte, que toi- aussi tu as été étranger en Égypte, et que tu as été bien accueilli »…. même si après ça a mal tourné avec certains pharaons.
Or le Christ va plus loin que l’Ancien Testament : « Aimez vos ennemis ; priez pour vos persécuteurs, ainsi serez-vous fils de votre Père qui est aux cieux ».
Oui, jamais l’Ancien Testament n’a proféré pareille assertion… encore que plusieurs prophètes et martyrs de l’Ancien Testament l’aient mis en pratique. Nous pensons au prophète Jérémie entre autres.
L’amour du prochain, frères et sœurs, dans l’enseignement de Jésus et en particulier l’amour des ennemis, est avant tout le Don – avec un D majuscule – le Don d’une personne à une autre, le Don d’un cœur qui a la capacité de se donner. Le concile Vatican II dit de l’homme, je le cite, « qu’il est l’unique créature sur terre que Dieu voulait pour elle-même. L’unique créature qui peut – poursuit le concile – se réaliser uniquement par le Don désintéressé de soi-même. »
C’est en cela que l’homme est un être semblable à Dieu par cette capacité qu’il a de se donner ; comme Dieu se donne à l’intérieur même de la Trinité « Père, Fils et Saint Esprit » et comme il se donne aux hommes en envoyant son Fils unique. L’homme étant le sacrement de Dieu présent dans le monde, il transforme le monde en sacrement pour Dieu.
Si l’amour des ennemis, frères et sœurs, nous parait difficile, et il l’est ! L’amour du prochain, nous le savons, n’est pas non plus toujours aisé. Si vous aimez ceux qui vous font du bien, c’est facile de leur rendre la pareille mais aimer sans attendre de retour de l’ascenseur, comme on dit aujourd’hui, c’est plus difficile !
Aimer en Dieu son prochain. C’est l’aimer en sa vocation particulière, en ce qu’il est le plus lui-même. C’est l’aimer d’un amour qui l’atteint au cœur de sa singularité. C’est l’aimer comme Dieu l’aime, de cet amour de Dieu qui le fait être et être tel, avec un fond de personnalité qui n’appartient qu’à lui-même. Aimer l’autre, c’est l’aimer en sa singularité, dans la beauté de sa singularité voulue par Dieu.
Il s’agit en même temps, frères et sœurs, d’aimer le prochain d’un amour universel, car sa vocation particulière s’inscrit au cœur de la grande vocation commune.
« Le ‘je’, comme aimait à le répéter Benoit XVI, est toujours en dialogue avec le ‘nous’.
L’amour du prochain n’est pas sans analogie avec l’amour conjugal : le prochain est lui aussi d’une certaine façon « mes os et ma chair » comme dit le Livre de la Genèse lorsqu’il parle de la création d’Adam et Ève. St Augustin a écrit une parole que le Pape Benoit XVI aime beaucoup méditer et qu’il a citée souvent durant son pontificat, je cite Augustin :
« Qu’est-ce qui est aussi mien que moi- même ? Qu’est-ce qui est aussi peu mien que moi-même ? »
Ce qui signifie, frères et sœurs, que ce qui nous est le plus propre, et qui en définitive appartient réellement à nous seuls – notre propre « moi », notre propre ‘je’ – est en même temps, ce qui nous est le moins propre. Car justement notre « moi » ne provient pas de nous et il n’est pas pour nous.
On n’ex-iste (en deux mots) que pour Dieu et pour les autres !
St Grégoire le Grand l’a dit : « Là où fait défaut la pluralité des personnes, l’amour ne peut être en toutes choses ». Le ‘je’ est pour le ‘nous’ et le ‘nous’ a sa racine dans le ‘je’ !
C’est de cet amour-là, frères et sœurs, que l’Eucharistie, que nous célébrons maintenant, est non seulement le signe mais la réalité, c’est-à-dire le sacrement.
Que le Christ Seigneur, qui a donné sa vie pour nous, nous entraine sur ce chemin, qui est le seul chemin qui conduit à la Joie parfaite,
Amen !