Homélie du dimanche 24 janvier 2021 – 3ème Semaine du Temps Ordinaire – Année B

Par le Frère Jean

Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur. Le style oral a été conservé.

 

Chers frères et sœurs,

Pendant les sessions du Concile Vatican II, 1962-1965 – où les 200 et quelques évêques de l’Église catholique, étaient réunis dans la Basilique St Pierre – au début de chaque session, l’Évangile comme nous venons de le faire, était solennellement apporté par un diacre dans l’Église et présidait à l’assemblée sur un trône devant l’autel de la Basilique, signifiant par là – geste Ô combien éloquent – que Celui qui préside l’assemblée, c’est le Christ Jésus, le Seigneur.

Et aujourd’hui, comme il nous a été rappelé au début de la Messe, nous célébrons, nous mettons en valeur de façon toute particulière la Parole de Dieu, puisqu’il y a un an le Pape François, par le motu proprio « aperuit illis », a voulu faire de ce 3ème Dimanche du Temps Ordinaire, un Dimanche consacré à la Parole de Dieu  pour mettre en valeur l’importance de la Parole de Dieu.

Le Pape écrit dans ce motu proprio, dans cette lettre : « Les communautés trouveront un moyen de vivre ce Dimanche comme un jour solennel. En ce Dimanche, il sera utile de souligner la proclamation de la Parole de Dieu et de mettre en évidence le service rendu à la Parole du Seigneur ».

Eh bien, nous qui par le Baptême et par le sacrement de Confirmation, avons été habilités à être serviteurs de la Parole, prenons conscience, comme dit l’apôtre Jacques que, « l’écoute de la Parole ne suffit pas, il faut la mettre en pratique », comme il écrit dans son épitre : « Ne soyez pas seulement des auditeurs de la Parole », mais, on pourrait traduire, des « praticiens » de la Parole.

La Tradition monastique aime parler de la ruminatio de la Parole. St Bernard et bien d’autres avant et après lui, dit que les moines sont des ruminants : ils écoutent la Parole de Dieu pour la retourner dans leur cœur, dans leur intelligence, dans leur esprit, tout au long de la journée. Cette ruminatio de la Parole afin qu’elle imprègne notre intelligence, notre esprit, notre cœur.

St Augustin, commentant la Parole de Jésus : « Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est secret qui ne sera connu », écrit : « Le Christ a promis la révélation progressive des mystères de l’Écriture ; hier tu comprenais un peu ; aujourd’hui, tu comprendras davantage ; demain tu comprendras plus encore ».

Et il poursuit : « La lumière de Dieu grandit avec toi ».

C’est en effet, comme le disait le Pape St Grégoire le Grand, au Vème siècle, « l’Écriture croît, (grandit), avec ceux qui la lisent ».

Mais, inversement, nous pouvons dire aussi que plus nous lisons, dans l’Esprit, les Saintes Écritures, plus notre être intérieur grandit et se fortifie.

Cela n’est pas réservé aux savants, même si c’est utile, pour connaitre les Saintes Écritures de connaitre l’hébreu, le grec et le latin, car comme l’a dit Jésus : « Ce que tu as caché, Père, aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits ».

Le Concile Vatican II nous dit que « L’Écriture Sainte doit être lue et interprétée à la lumière du même Esprit par laquelle elle a été écrite ».

Lorsque l’Écriture est lue dans cet Esprit qui l’a formée, elle est alors toujours nouvelle ; la Parole de Dieu ne vieillit pas. La Parole de Dieu n’est pas semblable à une météorite tombée du ciel dont on examinerait les fragments en laboratoire, étude qui serait réservée à une élite de gens capables de comprendre la plénitude du sens des Écritures…Elle est faite pour tout le monde ; et en particulier pour les « tout-petits ».

-Me vient ici à l’esprit, le témoignage d’un prêtre qui travaille dans les communautés de l’Arche avec des personnes porteuses d’un handicap mental, et il m’a dit plusieurs fois combien – il fait des homélies de façon interactive parce que si on parle plus de dix minutes devant cette assemblée, c’est un peu difficile – donc pour faire réagir l’auditoire, il m’a plusieurs fois dit : « Je suis stupéfait de voir combien ces personnes qui ont un handicap, comprennent la Parole avec une acuité qui parfois me renverse ! »-

La Parole de Dieu conduit le lecteur vers son « sens plénier », c’est-à-dire, son sens spirituel, pour y reconnaitre le visage du Christ, pour y entendre la Voix du Christ.

Oui, finalement la Parole de Dieu a pour but de faire grandir en nous, la Charité, l’Amour. Car des premières pages de la Genèse jusqu’aux dernières lignes de l’Apocalypse qui terminent la Bible, les chrétiens, lorsqu’ils scrutent les Écritures, y cherchent avant tout les traits du visage du Christ ; visage découvert comme en filigrane dans l’Ancien Testament, visage dévoilé en plénitude dans ce que nous appelons le Nouveau Testament.

« Toutes les divines Écritures, écrit encore l’un de nos Pères dans la foi, constituent un Livre unique et ce Livre unique, c’est le Christ. Il parle du Christ et il trouve dans le Christ son accomplissement ».

Oui, à travers les Écritures, c’est le visage du « plus beau des enfants des hommes » (Ps. 44) que nous cherchons, c’est le visage de Jésus Christ, toujours jeune, toujours présent.

Aussi grande soit la place de la Sainte Écriture dans la Tradition chrétienne, cette Parole de Dieu est le témoin de la Révélation mais elle ne contient pas toute la Révélation – du moins pas en ce sens que la Révélation s’épuiserait en elle et qu’on pourrait la mettre en poche comme un objet.

À ce propos, permettez-moi de citer cette histoire savoureuse que l’on trouve dans ce qu’on appelle les « apophtegmes », c’est-à-dire les sentences des Pères du désert, ces moines des premiers siècles qui vivaient au Moyen-Orient – et dans le récit que je lis, dans le désert de Scété :

« Et voici qu’un jeune moine vint trouver un ancien et lui dit :

« Abba, j’ai appris par cœur l’Ancien Testament et le Nouveau Testament ! »

L’ancien lui répondit : « Tu as rempli l’air de paroles ! »

Le second moine lui dit : « Abba, je me suis copié l’Ancien et le Nouveau Testament ! »

L’Abba répondit : « Toi, tu as rempli de feuilles les niches des murs ! »

« Et moi » dit le troisième « des mousses ont poussé dans ma marmite ! »

« Toi » répondit l’ancien « tu as chassé loin de toi l’hospitalité ! ».

Cette dernière réponse me semble significative de ce que veut dire cet apophtegme : nos pratiques ascétiques aussi valables soient-elles, que valent-elles si elles renferment sur soi-même, si elles nous glorifient et si elles nous conduisent à négliger le frère ? « Toi, tu as chassé loin de toi l’hospitalité ! »… Tu as peut-être appris par cœur tout l’Ancien et le Nouveau Testament mais le frère qui était à côté de toi et qui avait besoin de toi, tu ne l’as pas vu, tu l’as oublié.

Ces trois moines semblent s’être arrêtés aux moyens, comme dirait St Jean Cassien, en perdant de vue le but de toute pratique ascétique, aussi noble soit-elle, à savoir : la libération du joug des passions, la pureté de cœur, que St Jean Cassien appelle : la Charité.

Oui, par la ruminatio, la rumination des Écritures, retenir le texte écrit, le mémoriser est important mais c’est afin de lui restituer sa liberté de Parole.

À ce propos, on peut entendre les paroles de Jésus à Marie-Madeleine, lorsqu’Il lui dit : « Ne me retiens pas ! Et, va ! »

Eh bien, la Parole que délivre l’Écriture Sainte, que nous écoutons à la Messe le Dimanche ou que nous lisons chez nous, c’est une Parole à vivre, c’est une Parole vivante qui nous est donnée pour nous affermir dans la foi et pour nous fortifier.

La Tradition chrétienne aime faire un parallèle entre la Bible et l’Eucharistie. Voici ce que nous lisons dans la constitution du Concile Vatican II, Dei Verbum, sur la Révélation, que je vous invite à lire, c’est un texte qui fait une vingtaine de pages, ce n’est pas trop long à lire, et c’est un texte qui est très dense et très beau pour pénétrer le sens de la Parole de Dieu.

Voilà ce qu’on y lit :

« L’Église a toujours vénéré les divines Écritures, comme elle le fait aussi pour le Corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas, surtout dans la Sainte liturgie, de prendre le Pain de Vie sur la table de la Parole de Dieu et sur celle du Corps du Christ pour l’offrir aux fidèles ».

Voilà la table de la Parole de Dieu à laquelle nous sommes actuellement conviés.

Nous nous nourrissons de la Parole de Dieu qui trône parmi nous, et dans un instant la table du Corps du Christ. Et ses deux nourritures, le Pain et le Vin consacrés, sont deux nourritures complémentaires et qui sont Unes.

« Le christianisme, dit St Bernard, c’est la religion de la Parole de Dieu, non d’une Parole écrite et muette mais du Verbe incarné, vivant ».

C’est pourquoi St Bernard parle de l’Écriture comme de la « Chair même du Verbe incarné. Comme le Pain eucharistique, la Parole de Dieu est manducation ! Elle est nourriture… Sa nourriture dit Bernard en parlant du Christ, sa nourriture c’est moi-même. Pour que l’union soit parfaite, il faut qu’Il me mange afin que je sois en Lui et que je Le mange pour qu’Il soit en moi ».

Dans la Parole de Dieu, l’Écriture me mange, me nourrit, m’habite, et dans le Corps du Christ à la Table eucharistique, c’est moi-même qui reçois la Chair et le Sang du Christ.

Le chrétien aime le texte sacré comme il aime Jésus ; manger le Corps du Christ, c’est aussi lire l’Écriture et se l’assimiler.

Enfin, et je terminerai par là, le Concile Vatican II fait un lien étroit entre la Sainte Écriture, la Tradition de l’Église et le magistère de l’Église (ce qu’on appelle le magistère, c’est l’enseignement).

Le Concile Vatican II nous dit que « la Bible est un texte inspiré par Dieu et qui est confié à l’Église pour susciter sa foi et pour guider la vie chrétienne. Le magistère n’est pas au-dessus de la Parole de Dieu mais il la sert ; n’enseignant que ce qui fut transmis par mandat de Dieu avec l’assistance du Saint esprit. Il l’écoute avec amour, il la garde saintement, et il l’explique avec fidélité ».

En effet, frères et sœurs, l’Église a pour règle suprême de sa foi les Saintes Écritures, conjointement avec la Sainte Tradition. Le mot « tradition » dans la pensée catholique n’a rien à voir avec une réalité figée et immuable. La Tradition est plus moderne que la modernité ; le propre de la vraie nouveauté c’est qu’elle n’a pas besoin de rompre avec ce qui la précède pour l’affirmer.

Nous apprenons à lire et à pénétrer les Écritures assis sur les genoux de la Mère Église, car comme dit St Jérôme « Ignorer les Écritures, c’est ignorer le Christ ».

Et si je peux me permettre un souvenir personnel, c’est toujours avec joie et émotion que je me souviens de ma toute petite jeunesse, où j’ai appris à lire sur les genoux de ma mère dans une Bible ; et que les premières paroles que j’ai déchiffrées, c’est la Parole de Dieu, et cela me restera jusqu’à mon dernier jour.

Que ce Dimanche de la Parole de Dieu nous trouve éveillés et disponibles, pour qu’elle prenne chair en nos cœurs comme elle a pris chair dans le cœur et dans le corps de la Bienheureuse Vierge Marie.

« Et le Verbe s’est fait chair et il a demeuré parmi nous ».

Amen !

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