Homélie du dimanche 24 juillet 2022 – 17ème Dimanche Temps Ordinaire – Année C
Par le Frère Jean
Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur. Le style oral a été conservé.
Chers Frères et sœurs, nous l’avons bien compris, c’est de la prière, dont la Parole de Dieu nous parle aujourd’hui.
Les disciples qui vivaient auprès de Jésus au jour le jour, étaient frappés de la façon dont Jésus priait. C’était pour eux tout à fait nouveau. Ils ont vu souvent Jésus, après une journée harassante de marche (comme nos chers amis Scouts, hier !), se retirer de préférence la nuit. Ils l’ont vu rester des heures durant la nuit, prier. Souvent, il se prosternait à terre de tout son long ; d’autres fois, il était debout les bras levés au ciel : attitude de prière que les juifs connaissaient bien. Mais, ce qui les surprenait le plus, c’est quand parvenait à leurs oreilles quelque chose de la prière que Jésus formulait. Ils l’entendaient parler à Dieu le Père avec ce terme familier d’Abba en araméen, qui signifie Papa. Appellation que les apôtres n’auraient jamais osé employer en s’adressant à Dieu, tant leur conception de la transcendance de Dieu était grande, et ils avaient raison. Quand ils priaient, en bons juifs qu’ils étaient, ils s’adressaient à Dieu généralement en l’appelant : Adonaï, Elohim, El Shaddaï, ou bien « toi qui es notre Père ». Mais jamais, ils ne l’auraient appelé directement : Abba… papa, c’était en quelque sorte pour eux trop familier. C’est pourquoi, ils se disaient entre eux : qui est-il pour oser parler à Dieu avec une telle familiarité ? Et lorsque Jésus va répondre à leur question : « Seigneur, apprends nous à prier, comme Jean le Baptiste l’a fait sur les bords du Jourdain », Il ne leur répond pas en disant : « regardez-moi prier et faites de même »… mais « quand vous, vous priez, dites : notre Père ».
Il nous enseigne à nommer Dieu avec la même familiarité dont lui-même fait usage. Abba ! Père ! Papa. Cela, c’est tout à fait nouveau pour ses disciples. Et en même temps, il leur dit « notre Père », ce qui signifie que Dieu est autant Père pour moi que pour mon voisin de quartier, que je considère peut-être comme un homme méchant ou comme un grand pécheur. Tout homme, quelle que soit son origine, sociale, religieuse, peut s’adresser à Dieu en disant : Père. C’est la grande nouveauté du christianisme. Il est l’Abba de tous les hommes !
Dans la règle des moines écrite par St Benoit (que nous essayons de suivre dans ce monastère comme dans la plupart des monastères d’occident, et ceci est tout à fait particulier à la règle de St Benoît) le supérieur du monastère est appelé Abba, Père, c’est pourquoi on l’appelle Père Abbé (ce qui entre nous soit dit est une tautologie parce que dire « Père Abbé », c’est dire deux fois la même chose !). Chose surprenante, il est dit toujours dans la règle de st Benoît dans un chapitre, Benoit parle du Christ en l’appelant Abba : Père ; Jésus est, oui, notre Abba, notre Père, mais il n’est pas Père en lui-même, il nous transmet, il nous donne, il nous communique, la paternité de son Père, parce qu’il est le Fils. Dans chaque fils, je l’espère pour chacun d’entre nous, il y a quelque chose du Père. En Jésus, il y a tout le Père dans le Fils et tout le Fils dans le Père. « Le Père et moi, nous sommes Un… tout ce que le Père a, m’a été donné et m’appartient… et tout ce qui m’appartient, appartient au Père ».
Jésus, le Verbe de Dieu incarné, l’Un de la Sainte Trinité, ayant pris notre condition humaine, entretient avec son Père une relation filiale, intime, absolument unique, que nul homme ne peut partager. Il est le Fils bien-aimé du Père – on pourrait traduire, même si le mot est un peu mièvre – il est le ‘chéri’ du Père.
Comment Jésus priait-il dans les longues nuits à Gethsémani, dans son agonie ? À vrai dire, on n’en sait pas grand-chose ; si ce n’est comme un éclair, tout d’un coup les apôtres entendirent Jésus : « Père, je te rends grâce d’avoir caché tous les mystères du Royaume des cieux, et de les avoir révélés aux tout-petits. » ; et le tout-petit du Père, c’est d’abord Jésus lui-même. Il est l’Enfant bien-aimé.
On n’en sait rien parce que nous ne pouvons pas pénétrer dans l’intime de la conscience de Jésus ; mais ce qui est certain, c’est qu’il nous a enseignés, à nous ses disciples, que nous sommes appelés à entrer, chacun de nous, dans une relation filiale, elle-aussi, avec le Père, relation absolument nouvelle ! Et Celui qui nous enseigne comment entrer dans cette relation, comment prier, c’est quelqu’un : c’est l’Esprit Saint !
Mais qui est au juste l’Esprit Saint ?
Lire st Paul peut être une excellente porte d’entrée pour découvrir l’Esprit Saint. Je ne vous lirai pas maintenant toutes les Épitres de st Paul, mais quelques versets : « Vous n’avez pas reçu un Esprit qui vous rend esclave et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions Abba, Père ! » ; ou encore dans le Lettre aux Corinthiens : « Nous n’avons pas reçu l’Esprit du monde mais l’Esprit qui vient de Dieu ; vous êtes le Temple de Dieu et l’Esprit de Dieu habite en vous ».
Comment reçoit-on l’Esprit Saint ?
Le grand Don de l’Esprit Saint nous est fait au jour du baptême. Nous avons reçu l’effusion du Saint Esprit, nous avons été baptisés dans le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Cet Esprit nous a été communiqué à nouveau dans une nouvelle plénitude, dans un nouvel élan, par le sacrement de confirmation (si certains d’entre nous n’ont pas reçu le sacrement de confirmation, je les invite à se rendre dans leur paroisse auprès d’un prêtre afin de demander à recevoir ce grand et magnifique sacrement).
Pour ma part, j’aime cette parole de st Nicolas de Flue, le patron de la confédération helvétique qui dit qu’on va à la prière comme à une fête et à un combat. Une fête parce que prier dans la mouvance de l’Esprit Saint, c’est la joie de Dieu ; l’Esprit Saint, c’est la joie de Dieu ; et être conduit par l’Esprit Saint, c’est être porté par la joie ! Mais la prière, comme dit Nicolas, est aussi un combat ; elle ne vient pas d’abord par un apprentissage extérieur, analytique, elle nous vient par infusion. Elle nous vient comme un Don.
Voilà frères et sœurs, la bonne nouvelle sur la prière chrétienne. La Source même de la prière vient à nous et elle consiste dans le fait que Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs, et cet Esprit crie : Abba, c’est-à-dire Père.
Oui, la prière est un combat ! Ne nous étonnons pas d’avoir des combats dans la prière ; si nous n’avons pas de combat dans la prière, c’est plutôt inquiétant ! La prière en effet peut connaitre de multiples difficultés, entre autre celle de l’aridité que les moines connaissent, ils ne sont pas les seuls. Comme Beethoven le grand musicien qui était sourd. On rapporte de Beethoven que sa surdité au lieu d’éteindre sa musique, l’avait rendue plus pure.
Après la IX symphonie, rapporte-t-on, le public l’applaudit à tout casser ; il fallut lui tirer sa tunique pour qu’il s’en aperçoive et remercie le public. Le Pape François qui a l’art de bousculer ses auditeurs, dit que celui qui ne prie pas le Seigneur, prie le diable : « Quand on ne confesse pas Jésus-Christ, on confesse la mondanité du diable, la mondanité du démon ».
Ce sont des paroles qui sont faites pour nous secouer, et non pas pour nous condamner. Mais François aime les paroles fortes pour réveiller ses auditeurs !
Il faut achever, j’hésite entre tant de témoignages de saints connus ou inconnus qui nous ont enseignés la prière par leur vie et par leurs écrits. Mais peut-être retiendrais-je seulement cette parole du Père Congar, un grand théologien dominicain du XXème siècle, devenu Cardinal à la fin de sa vie, et qui confessait : « Dieu ne m’a pas fait la grâce de la prière mais il m’a fait la grâce de la fidélité dans la prière »
…et c’est déjà pas mal !
Amen !