Chers frères et sœurs,

Si la cathédrale Notre Dame de Paris est debout, c’est parce que Marie, Notre Dame, accueillit un jour en son sein le Christ, le Verbe fait chair, célébré par l’évangile de Saint Jean : « Le Verbe s’est fait chair – et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire – gloire comme Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité ».

Comment ne pas évoquer Notre Dame de Paris en reprenant ces paroles d’un amoureux des cathédrales et de la poésie, Charles Péguy, évoquant ainsi la Vierge Marie et Notre Dame de Paris : « Et où il faut résolument faire ce qu’il faut faire… Et s’adresser directement à celle qui est au-dessus de tout… Parce qu’aussi, elle est infiniment bonne. À celle qui intercède. La seule qui puisse parler avec l’autorité d’une mère. S’adresser hardiment à celle qui est infiniment pure, à celle qui est infiniment douce, à celle qui est infiniment noble. Parce qu’aussi elle est infiniment courtoise. À celle qui est infiniment jeune, parce qu’aussi elle est infiniment mère… À celle qui est infiniment joyeuse, parce qu’aussi elle est infiniment douloureuse ». Comment ne pas faire le rapprochement entre ces deux « Notre Dame » blessées puis restaurées… En 2018, Notre Dame de Sénanque (qui n’est pas encore sortie de l’hôpital où elle soigne ses blessures) et sa sœur cadette d’un siècle, Notre Dame de Paris, qui célèbre en ces jours sa santé recouvrée en toute sa beauté.

L’une et l’autre ont souffert, Peggy le disait il y a un instant : à celle qui est infiniment joyeuse, parce qu’aussi elle est infiniment douloureuse. Et puisque, frères et sœurs, le chemin de l’évangile que nous nous efforçons de suivre nous apprend à nous réjouir du bonheur du prochain, comme dit Paul : réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie. En ce jour, Notre Dame de Sénanque oublie ses propres blessures pour se réjouir avec sa sœur cadette, et ô combien plus illustre, Notre Dame de Paris.

Cette introduction n’est pas étrangère, frères et sœurs, au mystère de l’Immaculée Conception que nous célébrons aujourd’hui. Le privilège de l’Immaculée ne fait pas de Marie une personne désincarnée dont la pureté si éclatante nous éblouirait en nous séparant d’elle. Non ! Sa conception immaculée – et quel privilège – ne l’éloigne pas du commun des mortels, bien au contraire : infiniment reine parce qu’infiniment servante, disait, je crois, Bernanos. Exempte du péché qui replie et qui sépare, Marie est comblée de la grâce ; la grâce qui unit et qui épanouit. C’est qu’en effet, frères et sœurs, le mystère de l’Immaculée Conception est avant tout un mystère d’amour. En la personne de Marie se vérifie pleinement cette parole de Dieu à son peuple : « Tu es toute belle et il n’y a pas de tâche en toi ». L’amour divin – qui, à la différence du notre, ne dépend pas de son objet, mais le crée – se déploie ici en Marie sans entrave. Au cœur même du monde vieilli, l’amour divin reprend, ressaisit sa Création en sa source. Il fait de Marie la plus aimable, la plus attirante des créatures : celle où Dieu va pouvoir établir sa Demeure sans compromission aucune avec le péché.

Ceci, frères et sœurs, nous concerne directement.

La grâce de l’Immaculée Conception faite à Marie n’est pas seulement une grâce personnelle pour elle seule, mais elle est pour tous. Elle est une grâce faite au peuple de Dieu tout entier. C’est ici qu’il convient de citer la fameuse parole du cistercien Isaac de l’Étoile :

« C’est à bon droit que dans les Écritures divinement inspirées, ce qui est dit universellement de l’Église Vierge Mère, est compris singulièrement de Marie Vierge Mère, et ce qui est dit spécialement de Marie Vierge Mère, est compris généralement de l’Église Vierge Mère » … Chaque âme fidèle, poursuit Isaac, qui est cité dans la Constitution conciliaire Lumen Gentiumchaque âme fidèle, également, peut être reconnue à sa manière propre, comme Épouse du Verbe de Dieu, comme mère, fille et sœur du Christ, comme Vierge et féconde ».

Achevons par ce que Saint Silouane de l’Athos nous raconte de lui-même :

Un jour où il était en prière, il entendit d’une voix qui disait distinctement en lui : « La Mère de Dieu n’a jamais péché, pas même par une pensée ». Ainsi, poursuit Saint Silouane, l’Esprit Saint rendait témoignage dans mon cœur de sa sainteté.

Et nous, frères et sœurs, pauvres pécheurs qui poursuivons notre pèlerinage en ce monde, nous accueillons en ce jour dans la joie cette grâce que le Seigneur a faite à sa Mère dans le temps, et nous lui redisons avec confiance et avec amour :

Sainte Marie, Mère de Dieu, prie pour nous, pauvres pécheurs, et conduis-nous avec toi sur le chemin que Jésus, ton Enfant, veut pour nous. Oui, tu es toute belle, ô Marie, la tâche originelle n’est pas en toi. Fais tomber sur nous, sur toute l’Église, sur la France, sur notre humanité en souffrance, la paix qui ruisselle de ta sainteté.

Ô Marie, conçue sans péché, prie pour nous qui avons recours à toi, Amen.

Frère Jean, moine de Sénanque