Chers frères et sœurs, st Charles de Jésus, le père de Foucauld, qui vécut quelques mois chez les Clarisses de Nazareth avant de partir au Hoggar, eut le projet un peu fou, pour ne pas dire quelque peu fantasque, d’acheter le Mont des Béatitude (où la Tradition rapporte que c’est sur ce Mont que Jésus prononça les paroles que nous venons d’entendre). Avec quel argent ? Je ne sais ; peut-être une fois encore, eut-il fait appel à la générosité de sa chère cousine, Marie de Bondy qui savait toujours être là lorsque le cousin avait besoin de quelque sou…
Toujours est-il que le désir de Charles de Jésus, épris d’un amour fervent pour la Personne de Jésus, manifestait que ces Béatitudes résonnaient en lui comme la fleur, la quintessence de la bonne Nouvelle proclamée par le Christ :
“Heureux les pauvres de cœur… heureux les doux… heureux ceux qui pleurent”.
St Charles de Jésus a vécu chacune de ces Béatitudes, dans la lumière particulière de sainteté où la main de Dieu le conduisait ; comme chacun de nous, une voie unique parce que l’appel que Dieu adresse à chaque homme est toujours unique. Comme le dit le Concile Vatican II : « Tous ceux qui croient au Christ, quelles que soient leur condition et leur état de vie, sont appelés par Dieu, chacun dans sa route, à une sainteté dont la perfection est celle même du Père ».
Un homme qui avait bien compris cela, est saint François de Sales (dont on fête cette année le quatrième centenaire de sa mort) qui eut à cœur durant toute sa vie de prêtre et de d’évêque, de montrer que le chemin de sainteté est adressé à tous les baptisés, quel que soit leur état de vie. François de Sales était en cela un précurseur du Concile Vatican II, qui adressera un appel puissant, fort, à tous les baptisés afin qu’ils marchent sur un chemin de sainteté, qui est notre vocation commune. Traverser la cité terrestre en préservant l’intériorité, allier le désir de perfection à chaque état de vie, en retrouvant un centre qui ne se sépare pas du monde mais qui apprend à l’habiter, à l’apprécier, en apprenant aussi à prendre ses distances par rapport à ce monde. Telle était l’intention de François de Sales, et elle continue d’être une leçon précieuse pour chaque homme et femme de notre temps.
Le chemin des Béatitudes, frères et sœurs, qui nous est aujourd’hui proposé, n’est pas seulement un chemin de sainteté, c’est aussi un appel au bonheur. St Augustin dit que l’homme désire être heureux, même quand il vit d’une manière telle qu’il rend le bonheur impossible !
Dans le Nouveau Testament, on trouve cinquante-cinq fois le mot “bonheur”.
Le bonheur est une des clés pour comprendre la Révélation chrétienne. Pour les anciens, y compris les auteurs du Nouveau Testament, la quête du bonheur était constitutive de notre nature humaine : tout homme venant en ce monde est fait et voulu par Dieu pour le bonheur.
Augustin écrit encore : « Tous certainement, nous voulons vivre heureux, et dans le genre humain, il n’est personne qui ne donne son assentiment à cette proposition avant même qu’elle soit énoncée »… vivre heureux ! Pour découvrir le bonheur dont Dieu seul, pour nous, est la source et le terme, il faut passer, nous le savons, par un itinéraire fait de déceptions répétées tout au long de la vie ; déceptions, épreuves qui épurent notre désir du bonheur, qui le purifient. Les Béatitudes que Jésus proclame aujourd’hui, ne sont pas de bons conseils que nous donnerait un sage, y compris un grand Rabbin. Jésus est, en sa Personne, celui qui vit pleinement les béatitudes qu’il nous propose. Il est en sa Personne celui qui accomplit l’aspiration de tout homme au bonheur. Le Royaume des cieux est présent en Lui ! Là où est le Christ, là est le Royaume des cieux !
Jésus, frères et sœurs, a voulu incarner les Béatitudes en sa Personne, les vivant parfaitement, se montrant « doux et humble de cœur »
« De qui allons-nous apprendre la paix? Dit saint Basile De ce pacifique même, Jésus, qui fait la paix, qui en un seul homme nouveau en réconcilie deux…. bienheureux les pauvres, c’est Lui encore qui fut pauvre et qui s’est anéanti pour prendre la forme d’esclave ».
Et on pourrait continuer en prenant chaque béatitude, et en montrant comment Jésus est le premier à avoir vécu ces Béatitudes.
Le chemin du bonheur proposé par le Christ et les Évangiles, n’est pas à la mesure du désir de l’homme ; il l’assume et il le dépasse, il le transcende.
Notre culture conduit les êtres humains, frères et sœurs, à la frustration, s’ils se demandent sans cesse : « Suis-je heureux ? »…or, la vraie question est plutôt : « Suis-je libre ? »
La liberté chrétienne est la clé du bonheur.
Est-ce que je développe la liberté dont Dieu m’a fait don ? Cette liberté, nous le savons, n’est pas la liberté de choix du consommateur dans une grande surface qui doit choisir entre plusieurs produits qui se trouvent sous ses yeux.
Non, c’est bien plutôt la liberté de spontanéité qui nous fait répondre de tout notre être, à la réalité dont Dieu lui-même est le fondement. Cette liberté-là n’est pas obsédée par la poursuite du plaisir, mais elle répond aux évènements qui se présentent à elle avec joie, et avec action de grâce. Elle devient dès lors incapable de faire de mauvais choix.
La liberté à laquelle nous sommes appelés, n’est pas seulement un Don de Dieu, elle est également un appel à la responsabilité personnelle ; elle implique une réponse de notre part. Il convient de considérer notre vie en délaissant le point de vue du bonheur immédiat, pour nous attacher à voir comment les évènements, même si nous sommes libres, se conjuguent et convergent vers un but.
« C’est grâce à Dieu que vous êtes dans le Christ Jésus, qui a été envoyé par lui pour être notre sagesse, pour être notre justice, notre sanctification, notre rédemption » nous disait Paul dans la première Lettre aux Corinthiens.
Voilà le programme des Béatitudes : un bonheur qui fait appel à la capacité qu’a tout homme de se donner ; comme Jésus nous l’a dit dans les Actes des apôtres : « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir ».
Les Béatitudes sont la porte d’entrée (pourrait-on dire), et non pas une parole qui confère un statut social, mais une Parole qui fait faire l’économie des limites, des souffrances, voire de la mort. Les Béatitudes ne sont pas non plus une parole qui nous exempte de la souffrance, de la maladie, de la mort.
Les saints de tous les temps – à commencer par le Christ qui en est la tête – nous montrent que le chemin des Béatitudes est le seul chemin authentique pour connaitre Dieu, tel que Jésus nous le montre par ses paroles, par ses actes, par sa mort et sa résurrection.
C’est ce chemin que nous nous efforçons de parcourir humblement, jour après jour ; nous y trouvons notre joie ; nous y trouvons aussi parfois des larmes : « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés ».
L’Esprit Saint trace avec nous un sillon initié au baptême et qui trouvera son plein épanouissement au jour de la Rencontre avec Celui qui nous appelle à sa suite.
Amen !