Homélie du dimanche 03 juillet 2022 – 14ème Semaine du Temps Ordinaire – Année C
Par le Père Scolas Paul
Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur. Le style oral a été conservé.
Tout au long de son itinéraire, Jésus appelle et envoie : c’est la pêche surabondante avec « ce sont des hommes que tu prendras » ; c’est un peu plus loin le choix des douze, et un premier envoi dans les mêmes termes que celui que nous venons d’entendre : un envoi pour proclamer le règne de Dieu. Ici de nouveau, Jésus en désigne, parmi ses disciples, soixante-douze (6 fois 12) ; six douzaines auxquelles il faut ajouter, ce qu’on pourrait appeler « la douzaine sympathique ! », la septième douzaine ; l’ouverture à l’universalité, à tout l’univers, pour y porter ce que Jésus est, ce qu’il apporte : le règne de Dieu ; et pour aller là où Lui-même doit se rendre.
Ce récit est extrêmement riche et les lectures qui ont précédé également. Je pointe simplement quatre brèves réflexions qui nous concernent nous le soixante-treizième disciple envoyé par le Seigneur ou soixante-quatorzième, etc… Cela nous concerne, nous qui sommes appelés et envoyés aujourd’hui. « Aujourd’hui » est d’ailleurs un des grands mots de l’évangile de Luc ; nous devons recevoir ce récit, cet appel et cet envoi, pour nous aujourd’hui.
Première réflexion : cet envoi vient juste après un tournant décisif que nous avons entendu proclamer dimanche dernier, comme évangile. À un moment, après que Pierre a proclamé la foi des apôtres et que Jésus a annoncé déjà sa Passion, à ce moment-là, Jésus durcit sa face et prend avec courage la route de Jérusalem où il va être manifesté comme disciple, où il va être enlevé au Ciel à la manière d’Elie. Il prend une route qui mène à quelque chose de bon, qui est le règne de Dieu, qui est la résurrection, la sienne et la nôtre, mais en même temps, il sait consciemment qu’il prend une route qui est aussi extrêmement dure, qu’il va passer par le rejet et par la croix. Cette désignation des soixante-douze et leur envoi intervient après ce tournant décisif, et après des mises en garde à ceux qui veulent suivre Jésus : « ne retournez pas en arrière ; allez de l’avant sur ce chemin rude, extrêmement rude, mais qui est un chemin de résurrection. » Et nous aussi, c’est ce chemin là que nous sommes invités à prendre à la suite de Jésus.
Et à ce moment-là, quand il les envoie, Jésus dit – et c’est ma deuxième réflexion : « la moisson est abondante ». Souvent, en ces temps qui ne sont pas de manière évidente des temps de surabondance du développement de la vie de l’Église, et de la réponse notamment à l’appel au ministère, on retient surtout la deuxième partie : « les ouvriers sont peu nombreux, priez le maitre de la moisson », mais la raison de prier, c’est que la moisson est abondante ! C’était dit dans des images magnifiques par le prophète Isaïe dans la première lecture, et Jésus le dit aussi à la fin de la rencontre avec la samaritaine : « levez les yeux ; regardez ; les champs sont blancs pour la moisson »… (ici, ils sont plutôt bleus, je suis très heureux d’arriver avant la moisson pour pouvoir les contempler !)… mais porter ce regard-là qui nous enthousiasme, d’ailleurs, concrètement, de manière extrêmement réaliste, quand effectivement les champs sont prêts pour la moisson ; mais ce qui est vrai aussi de l’humanité.
Est-ce que nous osons dans la foi et l’espérance porter ce regard ? Et alors : souffrir du manque d’ouvriers parce qu’il y a une moisson, parce qu’il y a des hommes et des femmes qui ont entrevu au moins le règne de Dieu, et qui désirent être nourris de la Parole de Dieu. Dernièrement encore dans une équipe, plusieurs disaient : on a du mal à trouver des lieux où nourrir justement ce que nous avons entrevu et ce que nous cherchons à vivre. Ce regard-là bouscule notre façon souvent extrêmement pessimiste de situer l’appel aujourd’hui. Comment un appel peut-il retentir si on dit : « il manque des gens, c’est très dur, mais viens quand même…quoi »… mais non ! Les champs sont blancs, la moisson est abondante, et c’est cela qui motive l’appel. C’est cela qui nous motive à prier pour que cet appel retentisse et soit entendu.
Mon troisième point, c’est ce qu’il s’agit alors d’annoncer : c’est le règne de Dieu. Qu’est-ce que le règne de Dieu ? Jésus lui-même à certains moments se demande : à quoi vais-je le comparer ? – Je ne vais pas vous définir le règne de Dieu – mais dans l’évangile de Luc (il y a d’ailleurs un recours aussi au prophète Isaïe que nous avons entendu tout à l’heure) : « l’Esprit du Seigneur est sur moi, il m’a envoyé proclamer la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs, la liberté ; la guérison à ceux qui sont malades, etc… ». Nous connaissons cela. Ici, c’est aussi exprimé en termes de paix : shalom ! Dites paix à cette maison !
Paul l’exprimera notamment dans cette grande Lettre aux Galates, dont nous venons de lire la finale, en disant l’Évangile (l’Évangile que l’on peut trafiquer, mais ça j’y reviendrai après) mais l’Évangile de la grâce, du don gratuit de Dieu. Ce qui compte, dit Paul dans cette finale, ce n’est pas d’être circoncis, c’est d’être une création nouvelle.
Voilà des aspects du règne de Dieu, des aspects extrêmement forts. Et aussi, cette filiation qui nous est offerte par rapport à Dieu et qui débouche sur une fraternité inconditionnelle.
Annoncer le règne de Dieu ! Il n’y a « que » cela à annoncer, mais il y a tout cela à annoncer ! Nous n’avons pas de l’or et de l’argent à distribuer ; mais à annoncer que, vraiment malgré tout, malgré tant d’apparences contraires mais qui sont réelles aussi, il y a la semence du règne de Dieu qui travaille notre humanité et qui est à annoncer, pour que les hommes et les femmes qui sont affrontés au Mal, à la guerre, à la violence, osent croire et accueillir que la paix du règne de Dieu leur est donnée.
C’est pour cela que nous, les soixante treizième des disciples, nous sommes envoyés par le Christ pour annoncer ce règne de Dieu.
Mais alors, cet évangile comporte aussi un aspect plus rude, la Lettre de Paul aux Galates aussi, parce que le refus, ou simplement le non-intérêt pour le règne de Dieu, l’échec de la prédication, il est aussi présent ; parce qu’on est dans une dynamique essentielle de liberté – dans la lettre aux Galates, Paul dira aussi : « c’est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés »- et si on se ferme : passez ailleurs, secouez la poussière de vos sandales, ne leur prenez rien mais allez ailleurs ! N’empêche que ce refus est à certains moments, et souvent, troublant, parce que – et l’évangile marque cela très fort : ce sont ceux qui étaient préparés qui n’accueillent pas ! On a sauté ici les trois versets très forts – bien que ça commence déjà : « Sodome sera mieux traitée que cette ville qui refuse » ; et Jésus dit : « vous (les villes auxquelles ces soixante-douze sont envoyées), lors du jugement, vous serez moins bien traitées que des villes païennes, que Tyr et Sidon qui ont accueilli l’évangile. »
Paul est confronté aussi chez les Galates à quelque chose de très rude : voici que ceux qui ont accueilli l’évangile de la grâce, de la gratuité, de la bonté, de la miséricorde de notre Dieu, ceux-là, ils se laissent séduire par certains qu’ils viennent leur dire que :
s’ils se font circoncire, s’ils observent la loi de Moïse, ils seront plus près de Dieu que par la grâce et l’amour de Dieu.
Paul est extrêmement combatif dans cette Lettre ; mais en même temps, ces avertissements de Jésus et de Paul, ce sont des avertissements dans l’espoir quand même que ce règne de Dieu soit un jour accueilli et que vienne la paix.
Paul termine en disant : « pour ceux qui marchent selon cette règle de vie, selon l’évangile, et pour l’Israël de Dieu » – même pour l’Israël de Dieu dont la majorité des personnes ne se sont pas ouvertes à l’évangile, pour l’Israël de Dieu aussi : paix et miséricorde !
Il y a une interpellation qui est lancée, rien n’est forcé, mais en même temps il y a une espérance, qu’au-delà même des refus, l’évangile, le règne de Dieu, finissent par être accueillis.
Voilà pourquoi, et je termine avec cela, les missionnaires doivent être libres, « ni sac, ni sandales », pour inviter à une aventure de liberté. Et par rapport au résultat qui est réel, je voyais le Démon tomber, je voyais les forces du Mal reculer, mais ce ne sont pas les résultats apparents de la mission, qui sont pourtant importants mais ce ne sont pas eux qui doivent nous réjouir, mais ce qui doit nous réjouir, c’est que nos noms sont inscrits dans les cieux.
C’est que nous vivons déjà de ce règne ; parce que si nous n’en vivions pas, nous ne pourrions pas le communiquer ; et en même temps, nous sommes dans l’espérance que de nombreux soient aussi inscrits dans les cieux ; mais pour eux comme pour nous, cela appartient au Maitre de la moisson.