Chers frères et sœurs,
Nous l’avons entendu dans la première lecture, Dieu apparait en songe à Salomon à Gabaon. À la demande que Dieu lui fait : « Demande moi ce que je dois te donner », le roi Salomon a cette réponse admirable : « Donne-moi un cœur plein de jugement pour discerner entre le Bien et le Mal ; car qui pourrait gouverner ton peuple qui est si grand ? ». Et Dieu exauça sa demande.
Salomon devint le roi sage mais aussi riche et puissant. Hélas, son pouvoir, et les femmes nombreuses de son harem, vont lui tourner la tête. La fin de sa vie ne sera pas à la hauteur des premières années de son règne ; sa sagesse et sa splendeur furent ternies par son idolâtrie, et la monarchie commença à décliner. Il n’est pas le seul. Un siècle plus tard, le roi Acab s’est aussi laissé séduire par les dieux étrangers. Le mariage des rois avec des femmes étrangères au peuple élu, au peuple juif, deviendra dans la Bible, le symbole de l’apostasie : l’abandon du Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob pour des divinités étrangères. Salomon, cependant a demandé le discernement ; diacrisis, le discernement. Qu’en est-il de cette vertu, puisque dans la Tradition chrétienne c’est une vertu, non seulement dans l’histoire de Salomon mais aujourd’hui ? Car si Salomon a disparu, le Don de Dieu est toujours à l’œuvre dans l’Église en chacun des baptisés, en chacun des hommes. La Tradition monastique a toujours été attentive à ce Don du discernement qu’elle reconnait comme étant un Don du Saint Esprit. Un ancien moine du désert (1er siècle) a qui l’on demandait : « Quelle est l’œuvre du moine ? » ; celui-ci répondit : « le discernement ! ».
Nous savons l’importance du discernement dans la vie spirituelle. En japonais – je ne connais pas parfaitement le japonais – mais je sais que deux caractères signifient le discernement : l’un signifie « danger », et l’autre « occasion favorable ». La Bible nous expose une série de choix où l’homme doit prendre parti : il y a la voie de la sagesse et celle de l’impie ; face à la voie de Dieu, il y a celle du péché qui est elle-aussi mystérieuse.
Pour la Sainte Écriture, le bien est le Bien, le mal est le Mal ! Prenons garde à ce qu’on appelle « le subjectivisme moral », où le bien, c’est ce que moi je considère comme bien ; et le mal, ce que moi je considère comme mal ; un des traits de l’homme moderne est de considérer qu’il suffit d’être sincère, et en accord avec soi-même à tel moment, même si cela comporte l’abandon d’engagements pris antérieurement. Pour St Bernard, il n’en est pas ainsi (et pour bien d’autres auteurs), dans l’un de ses ouvrages, Bernard nous dit que la bonne intention doit toujours s’accompagner d’une recherche authentique de la Vérité.
Cette capacité de discernement que Salomon a demandé à Dieu et que nous demandons nous aussi pour chacun de nous, ne vient pas de la terre mais de l’Esprit Saint ; elle consiste à pénétrer les profondeurs divines, nous dit st Paul dans la Lettre aux Corinthiens.
« Nul, ne connait les secrets de Dieu si ce n’est l’Esprit de Dieu ; pour nous, nous n’avons pas reçu l’Esprit du monde mais l’Esprit de Dieu, afin de bien connaitre les dons que Dieu nous fait » dit Paul.
La faculté de discernement dans notre Tradition chrétienne est le fruit d’un charisme qui est appelé aussi « le discernement des esprits ». Ce charisme du discernement peut s’imposer de lui-même par ce qu’il donne de pénétration, d’assurance, de lucidité, sur les situations qui se présentent à nous, sans comporter pour autant d’état extraordinaire. Pour nous qui nous efforçons jour après jour de vivre en disciple du Christ, discerner la volonté de Dieu, dans les petites et les grandes choses qui se présentent à nous, est une activité capitale de notre vie spirituelle… Cela vient-il de Dieu ? Que veut le Seigneur ?
On peut retenir trois principes de discernement dans notre vie spirituelle : la première s’appuie sur le fait que nous croyons que Dieu veut nous conduire tous – et tous ensemble ajoute St Benoit – nous conduire au Salut ; ce que l’Écriture en hébreu appelle le « shalom » : c’est plus que la paix, c’est aussi le Salut, ce sont les biens messianiques promis par le Seigneur.
Ce Salut, c’est à dire la plénitude de la joie et de la paix.
C’est pourquoi la joie, la paix, l’allégresse, la sérénité, sont finalement les critères les meilleurs de l’action divine. Là où est l’Esprit de Dieu, là se trouve la paix, et là se trouve la joie. Il peut y avoir dans notre vie des heures de passages difficiles, voire angoissantes, mais qui ne sont que des passages.
Le deuxième fondement sur lequel s’appuie notre discernement, c’est cette conviction que Dieu, notre Dieu, agit au plus intime de notre être, de l’âme, de façon invisible mais bien réelle. Cette action de Dieu au plus intime de moi-même forge ma personnalité chrétienne dont dépend tout le reste, à savoir : ce que je suis, ce que je pense et ce que je fais.
Le troisième principe, c’est que Dieu n’agit pas seulement au plus intime de mon être mais il construit par moi et avec moi un monde nouveau dans le Christ. « Voici : je fais toutes choses nouvelles » dit le Seigneur dans l’Apocalypse : « et je les fais dès aujourd’hui avec toi et avec ta coopération ».
C’est cela, frères et sœurs, que nous appelons le Royaume des Cieux dont nous parle l’évangile de ce jour. Puissions-nous, nous aussi, comme le négociant qui recherche des perles fines, perdre notre vie pour entrer dans ce trésor qu’est le Royaume des cieux, et cela dès aujourd’hui,
Amen !