Homélie du dimanche 31 juillet 2022 – 18ème Dimanche Temps Ordinaire – Année C

Par le Père Abbé de Lérins

Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur. Le style oral a été conservé.

 

Chers frères et sœurs,

Quelqu’un demande à Jésus d’arbitrer un différend qu’il a avec son frère au sujet de son héritage.

Le mot « partager » qui est au cœur de la demande de cet homme (« Dis à mon frère de partager avec moi notre héritage ») a, en fait, plusieurs sens et c’est autour de cette diversité de sens que se construit le texte de l’Évangile que nous venons d’entendre. Pour l’homme qui interpelle Jésus, partager veut dire diviser. Dans le meilleur des cas, il veut avoir pour lui et pour lui seul une bonne part de l’héritage paternel. Il veut passer du « nous » de notre héritage au « je » isolé et solitaire du moi devenant seul propriétaire de la part qu’il estime être la sienne.

Nous retrouvons d’une certaine manière la même question sur la bouche de Jésus, à un autre endroit de l’Évangile de Luc, dans la parabole du Fils prodigue, qui lui aussi réclame à son père « la part de fortune qui lui revient ». Or, si la coutume juive à l’époque du Sauveur admet la possibilité d’une telle répartition, elle préfère, de beaucoup à cette solution, celle de garder l’héritage intact par une vie commune des héritiers. C’est ce que la Bible appelle « Vivre Ensemble », « Vivre entre Frères », idéal que chante le Psaume 132* que nous interprétons souvent aujourd’hui d’une manière purement spirituelle.

« Oui, il est bon, il est doux pour des frères de vivre ensemble et d’être unis ! »

C’est cet idéal que nous retrouvons aussi dans les courtes descriptions que font les Actes des Apôtres de la première communauté chrétienne de Jérusalem. « Tous ceux qui étaient devenus croyants étaient unis et mettaient tout en commun ».

C’est à partir de ce contexte que l’on peut comprendre la force de la réponse négative de Jésus. Il ne veut rien avoir à faire avec ce que cet homme lui demande puisque, pour lui, dans la logique du Royaume qui vient, le partage ne peut se concevoir que tendant vers une mise en commun et non vers une division, vers une ouverture et non vers un repli. Si au début de ce chapitre 12 de l’Évangile de Luc, Jésus mettait en garde contre l’hypocrisie, ici de manière tout aussi forte, il met en garde contre la cupidité et l’avarice qui fait que l’homme confond son être avec son avoir, avec les biens illusoires qu’il possède et accumule. Si Qohèleth parle de vanité pour décrire toute la peine que l’homme se donne pour amasser des biens, si Paul parle d’idolâtrie pour décrire la soif de posséder, c’est par une parabole que le Christ va nous exprimer ce que veut dire être riche en vue de Dieu.

Voilà un homme déjà riche, avec un grand domaine et qui se trouve dans la perspective d’une belle récolte, d’une récolte exceptionnelle pourrait-on dire, puisque ses greniers ne suffiront pas à la contenir. Il pourrait regarder cette récolte exceptionnelle comme un don de Celui que chante le psaume en parlant des récoltes : « La terre a donné son fruit, Dieu notre Dieu nous bénit ». Mais sur ses lèvres, on ne trouve pas la parole de bénédiction mais celle de la propriété : ma récolte, mes greniers, mon blé, tous mes biens. Il n’envisage d’amasser que pour lui-même. Il est d’ailleurs significatif qu’aucun autre personnage que lui-même, n’apparaisse dans son discours, pas de famille à nourrir, pas d’amis avec qui partager…

Or cette récolte, puisqu’elle est un Don, ne peut devenir bénédiction que grâce au don, c’est-à-dire grâce à une compréhension du partage comme mise en commun. Du monde, l’homme n’est pas le propriétaire mais d’une certaine manière le gérant, son travail ne peut devenir une bénédiction que s’il vise un bien commun, une mise en commun, un partage qui fait de tout bien, non mon bien mais un bien pour Dieu parce qu’il est aussi un bien pour mon frère. C’est ce que dit déjà au quatrième siècle Saint Basile, en commentant ce passage de l’évangile : « Ses greniers craquaient, trop étroits pour contenir le blé qu’on y avait entassé, mais son cœur cupide n’était pas rempli ». « Imite plutôt la terre (dit Basile à cet homme), porte du fruit comme elle, non pour ta propre jouissance mais pour l’utilité des hommes ».

Chers frères et sœurs, demandons au Seigneur, par la grâce de cette Parole, d’entendre comme nous le demande la Pape François, la clameur de la terre et la clameur des pauvres pour devenir riche en vue de Dieu. Engageons-nous sur la voie de la communion et du partage.

Psaume 132 : « On dirait la rosée de l’Hermon qui descend sur les collines de Sion. C’est là que le Seigneur envoie la bénédiction, la vie pour toujours ».

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