Homélie du dimanche 06 mars 2022 – 1er Dimanche de Carême – Année C

Par le Frère Jean

Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur. Le style oral a été conservé.

 

Chers frères et sœurs,

La parole du psaume 90 que nous avons entendue après la première lecture, nous interpelle ; le Seigneur dit du psalmiste – en l’occurrence de nous qui sommes en cet instant le psalmiste :

Il m’appelle et moi je lui réponds, je suis avec lui dans son épreuve.

Comment ne pas penser à tous nos frères en humanité qui aujourd’hui en Ukraine, comme dans tant d’autres pays, sont dans l’épreuve ? Et Dieu répond-il à ceux qui crient vers lui ?

Ce mercredi des Cendres, nous avons prié avec toute l’Église, ici comme ailleurs, pour que cesse la guerre. Nous avons supplié Dieu d’étendre sa main de paix pour mettre un terme à la folie meurtrière. Dieu a-t-il entendu nos prières ? Dieu répond-il à nos prières ? Cette question, de l’exaucement de nos prières, ne cesse d’habiter le cœur des croyants, y compris des plus fervents. Entends ma prière Seigneur, écoute mon cri, dit un psaume ; « ne reste pas sourd à mes pleurs. »

Pourquoi, dit encore l’Écriture, les puissants triomphent-ils… et les pauvres sont-ils toujours écrasés ? Pourquoi l’injustice si souvent l’emporte sur la justice ? Et tant, et tant, de questions que nos contemporains se posent, et parfois légitimement. Jésus lui-même a été tenté, non seulement au désert mais à l’heure de sa passion. Tenté ne veut pas dire consentir à la tentation… La dernière parole de Jésus sur la croix : en tes mains, Seigneur, je remets mon esprit.

Quand la prière se heurte à la réalité cruelle des évènements, la confiance filiale, nous le savons, est éprouvée. Or, elle se prouve dans la tribulation !

« La détresse produit la persévérance ; la persévérance, la fidélité éprouvée ; la fidélité éprouvée, l’espérance. Et l’espérance ne trompe pas car l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné» (St Paul)

« Ne t’afflige pas si tu ne reçois pas immédiatement de Dieu ce que tu lui demandes. C’est qu’il veut te faire plus de bien encore par ta persévérance, à demeurer avec lui dans la prière. Il veut que notre désir s’éprouve dans la prière. » (St Augustin)

Toutes nos demandes ont été recueillies une fois pour toutes dans le cri de Jésus sur la croix, et exaucées par le Père, dans sa résurrection. C’est pourquoi Jésus ne cesse d’intercéder pour nous auprès du Père en toutes nos tribulations. Si notre prière est résolument unie à celle de Jésus, dans la confiance et l’audace filiale, nous obtenons tout ce que nous demandons en son Nom. L’un de nos pères dans la vie monastique, Évagre de Pontique, au IVème siècle, fait remarquer que Jésus et St Paul, à sa suite, ne nous ont pas prescrits de travailler, de veiller, de jeuner constamment, tandis que pour nous, dit-il, c’est une loi de prier sans cesse.

Prier, en effet, est toujours possible. Le temps du chrétien est celui du Christ ressuscité, qui, nous dit l’Évangile, est avec nous tous les jours, quelles que soient les tempêtes. Notre temps est dans la main de Dieu !

L’Esprit Saint nous apprend aussi à prier avec larmes. Un auteur du siècle passé parlait d’un « christianisme sans larmes ». Il faut réapprendre à prier avec larmes.

Prier avec larmes quand nous sommes tentés de désespérer. Jésus a été tenté au désert. La tentation, frères et sœurs, fait partie de tout itinéraire spirituel ; elle est même requise pour grandir dans la foi. La tentation peut avoir deux sources : l’obscurité de la foi ou la faiblesse de la chair. Ces deux sources peuvent se conjuguer, et de fait, elles se conjuguent en nous mais elles peuvent être dissociées : Jésus a connu la faiblesse de la chair mais il n’a pas connu l’obscurité de la foi.

Il faut bien se dire que la tentation ne se confond pas avec l’épreuve ; le livre de Job peut nous aider à comprendre cela. Pour murir, pour passer vraiment, de plus en plus, d’une piété superficielle à une profonde union avec la volonté de Dieu, l’homme a toujours besoin d’être mis à l’épreuve. L’amour en nous est toujours un processus de purification, de renoncement, de transformation douloureuse de nous-mêmes. Ainsi en va-t-il du chemin de notre maturation. C’est encore St Augustin qui écrivait : « Le monde est actuellement comme un pressoir, il est écrasé dans l’épreuve, mais si tu n’es que du marc, tu vas à l’égout…si tu es de l’huile, tu restes dans l’amphore. »

St François Xavier, disciple de St Ignace de Loyola, a pu dire en prière à Dieu : « Je t’aime, non pas parce que tu as à donner le paradis ou l’enfer, mais simplement parce que tu es Celui que tu es : mon Roi et mon Dieu ! »

Il fallut certainement un long chemin à St François Xavier, un long chemin de purification, pour arriver à ce degré de liberté.

À un frère qui était en proie à la tentation, François d’Assise lui dit : « Crois-moi frère, c’est pour cela justement que je te considère davantage comme un serviteur de Dieu. Je te le dis en vérité : personne ne doit se croire serviteur de Dieu tant qu’il n’a pas traversé les épreuves et les tentations. Une tentation vaincue est comme une alliance que le Seigneur passe au doigt de son serviteur. »

Nos combats humains et spirituels ne sont pas tant pour la destruction du mal en nous, que pour la croissance du bien en nous. À travers nos combats multiples, notre foi peut-être superficielle doit se creuser, descendre dans l’intelligence et dans le cœur. Devenir cette foi que la charité brule assez pour qu’elle puisse passer à travers les flammes.

« Dans le Christ, dit St Augustin, c’est toi qui étais tenté car le Christ avait pris de toi sa chair pour te donner son salut. C’est de toi qu’il prenait les tentations pour te donner sa victoire. »

Frères et sœurs, ce temps de Carême nous est donné comme un temps favorable pour combattre avec Jésus au désert contre les forces du Mal. N’oublions pas que la victoire nous est déjà acquise par sa résurrection.

Reste la part qui nous revient de nous approprier cette victoire du Christ en passant nous aussi des ténèbres à son admirable lumière, que nous contemplerons déjà partiellement ici-bas, et en plénitude dans le Royaume à venir. Amen !

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