Homélie du dimanche 7 Avril 2019
5ème dimanche de Carême – Année C
Par le Frère Jean
Le texte de cette homélie n’a pas été relu par le prédicateur – Le style oral a été conservé
Chers frères et sœurs,
S’il est quelqu’un qui eut pu jeter la première pierre en direction de cette femme… c’est Marie, la mère de Jésus, l’Immaculée Conception… celle qui n’a jamais connu le péché.
À supposer que Marie eut été présente dans cette scène – d’ailleurs exclusivement composée d’hommes – il est évident que non seulement elle n’aurait pas envoyé la première pierre, mais qu’en son cœur elle se serait tenue infiniment compatissante aux côtés de cette femme. À moins qu’elle eut fait ce geste, que fit un jour St Maximilien Marie Kolbe au camp d’Auschwitz, lorsqu’il demanda à prendre la place d’un prisonnier, père de famille, qui devait être conduit au bunker pour y mourir, et le Père Kolbe demandant à prendre sa place.
Oui, comme son Fils dont St Augustin, en son admirable commentaire de cette page d’évangile, dit que dans cette rencontre de cette femme avec Jésus : « c’est la misère qui rencontre la miséricorde », qui sont là face à face.
La miséricorde qu’est Jésus en sa Personne. Jésus n’est pas là en face de la femme adultère – comme nous avons coutume de l’appeler – mais la Femme avec un F majuscule, créée à son image et ressemblance, avec qui il veut partager, comme avec chacun d’entre nous, un festin de noces… comme avec la Samaritaine, comme avec Marie de Magdala, comme avec toutes les femmes et tous les hommes qu’il a croisés sur les routes de Galilée, de Judée et d’au-delà du Jourdain. Éveillant en chacun ce qui est susceptible d’accueillir le Salut. Faisant la distinction si importante entre le pécheur et le péché ! Comme avec celui que nous appelons « le Bon Larron », et que St Augustin fait arriver au paradis, le soir même de sa mort ; et ce bon-larron répondant à ceux qui lui demandent « Comment il en est arrivé là ? » ; comment après une vie de brigands, il arrive au paradis, sur un tapis rouge ! Et le Larron de répondre : « J’ai croisé sur la croix son regard… et là, j’ai tout compris ».
Le récit évangélique de ce jour, frères et sœurs, ne nous parle pas du regard de la femme vers Jésus. On peut légitimement penser qu’elle a les yeux baissés par la peur, la honte peut-être. Très probablement, le repentir, mais on nous dit que Jésus, lui, « a les yeux baissés, écrivant sur le sol ». Qu’écrit-il ? Peu importe de le savoir. Il a les yeux baissés ! Par respect pour cette femme parce qu’on sait bien qu’il y a des regards qui peuvent tuer et des regards qui donnent la vie ! Il a les yeux baissés afin que durant ces quelques secondes, cette femme ait la possibilité de se ressaisir.
Comme, frères et sœurs, lorsqu’on est en présence d’une personne qui pleure, habitée par une grande douleur… savoir baisser les yeux est signe de pudeur, de chasteté ; c’est un acte de respect, disons-le : de charité. Et la femme le comprend bien. Alors que les Pharisiens la tuent du regard – pour autant qu’ils s’intéressent à elle – Jésus, lui, la laisse vivre, « les yeux baissés ».
La femme est encerclée, menacée par des hommes « males » ; d’autant plus que le mari, l’amant et des témoins de son forfait, sont lâchement absents. Les images stéréotypes de la femme pècheresse, tentatrice et prostituée… et de celle de l’homme bon, juste, innocent et juge de toutes choses, sont ici dépassées par Jésus qui se baisse et se redresse. En effet c’est lui l’homme « male » qui subira les coups des hommes jusqu’à la mort, pour entrainer l’humanité pècheresse vers la résurrection bienheureuse. Cette humanité pècheresse composée, et d’hommes, et de femmes. Mais il y a un temps pour garder les yeux baissés et un temps pour les lever. « Vers toi, Seigneur j’ai les yeux levés » chante un psaume.
Et dans le Livre de Job, on lit : « Dieu sauve l’homme aux yeux baissés ».
J’aime, frère et sœurs, cette parole d’un théologien orthodoxe du siècle passé, Olivier Clément, qui dit que « le christianisme, c’est la religion des visages ». C’est bien vrai ! Le visage de Jésus qui de la croix embrasse « le bon Larron » mais aussi probablement, celui que nous appelons « le mauvais Larron »… pour qui il meurt aussi sur la croix ! Le regard de Jésus sur Simon Pierre à l’heure de la passion quand celui-ci nie par trois fois, être son disciple : « Jésus le regarda et le coq chanta ». Le regard de Jésus sur Judas, l’un des douze, qui va le trahir. Quand après lui avoir offert la bouchée, lors de la dernière scène, il lui dit « Ce que tu as à faire, fais le vite ». Le regard de Jésus sur Marie de Magdala, au matin de la résurrection : « Femme, pourquoi pleures-tu ?… Qui cherches-tu ? ». Et là il n’a pas les yeux baissés, il la regarde avec infiniment de bonté. Le regard de Jésus chaque fois qu’il prie, les yeux levés au ciel.
Le regard de Jésus, frères et sœurs, sur chacun d’entre nous… lui qui sonde les reins et les cœurs avec justice et miséricorde. Car à chacun de nous, aussi, comme pour la femme de l’évangile de ce jour, Jésus, hait le péché mais aime le pécheur. Car « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » dit St Paul « et parviennent à la plénitude de la vérité… et du Salut ».
« Justice et paix s’embrassent », chante un psaume ; misère et miséricorde s’embrassent chaque fois que Jésus nous regarde.
« La vraie morale » écrit un auteur contemporain que je cite sans enjoliver ce qu’il dit « la vraie morale est une morale de l’échec, du ratage, de cette misère que la miséricorde vient saisir…de cette concupiscence qui nous fout par terre, pour qu’avec nous mais aussi malgré nous, la grâce vienne nous relever »
Achevons par ce récit que je puise dans la tradition juive : « Un Rabbin demanda à un autre Rabbin : « Imaginons quelqu’un qui ait fait le crime le plus abominable. Il va être exécuté. Au moment de sa mort, peut-il rencontrer Dieu ? »
Et l’autre Rabbin de répondre « Le moment où cet homme meurt, même s’il est le plus grand coupable de l’humanité, est le moment où il est le plus pauvre, aussi nu que l’enfant qui vient de naitre ; parce qu’il n’a rien, la miséricorde de Dieu peut se déployer dans son entier ».
C’est ce qu’elle fait aujourd’hui, frères et sœurs, avec la femme de l’évangile. Il en est ainsi pour chacun de nous. La liturgie de Pâques dans laquelle nous allons bientôt rentrer, le met souvent sur nos lèvres avec le psaume 88 : « Misericordias, cantabo Domini ; in aeternum cantabo » :
« Je chanterai sans fin la miséricorde du Seigneur »
Amen !