Chers frères et sœurs,
Jésus voit ce qui est en nous. Y trouve-t-il la foi du centurion ? Ou bien l’incrédulité des gens de Nazareth dont nous parle la page d’évangile qui vient d’être proclamée ?
Le centurion, un païen qui demande à Jésus de venir chez lui guérir son serviteur qui, dit-il, « souffre terriblement ». Et il poursuit, « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit ; dis seulement un mot et mon serviteur sera guéri ». Et Jésus, devant cette réponse du centurion, se tournant vers ses disciples, leur dit : « En vérité, chez personne en Israël, je l’ai trouvé une telle foi ». En contrepoint de cet épisode du centurion : les habitants de Nazareth (dont nous venons d’entendre) qu’ils étaient profondément choqués à cause de lui.
Jésus sait que multiplier les miracles pour les convaincre de son origine divine ne servirait à rien si le cœur de ses auditeurs n’est pas disposé à changer. Les signes les plus grandioses pourraient être accomplis, ils ne changeront rien à l’incrédulité de ses auditeurs.
La foi des gens de Nazareth, peut-on penser, n’est pas la foi vive, la foi qui sauve. Si une telle foi les avait animés, ils auraient ouvert leur cœur à Jésus. Or, ils s’en tiennent à une croyance « correcte » et probablement stérile.
Le Seigneur Jésus, frères et sœurs, n’a jamais voulu, dans ses paroles comme dans ses actes, forcer l’adhésion de ses auditeurs, y compris de ses apôtres. Souvenez-vous du célèbre épisode de la « multiplication des pains » où Jésus, après avoir nourri une foule de cinq mille hommes avec quelques pains, poursuit en disant que sa chair, c’est sa chair à lui qui est la vraie nourriture et son sang, une vraie boisson. Et l’évangéliste Jean poursuit en disant qu’à partir de ce moment, beaucoup de ses disciples cessèrent de faire route avec lui ; se tournant alors vers les Douze, Jésus leur dit : « Et vous ? Vous n’avez pas l’intention de partir à votre tour ? » ; on peut entendre derrière ces paroles, cette phrase : « et si vous voulez partir, vous êtes libre de le faire ».
La foi, frères et sœurs, nous le comprenons, c’est bien avant tout une adhésion à la Personne de Jésus. Cette adhésion ne peut être qu’un acte entièrement libre, un acte du cœur, de l’intelligence et de la raison. Sinon, ce n’est pas la foi. Et croire, c’est toujours prendre position !
La foi n’est pas seulement une expérience religieuse, aussi belle soit-elle, ni un choc affectif, aussi profond soit-il, mais elle est fondamentalement adhésion de l’intelligence et du cœur à une réalité objective. Et cette réalité à laquelle nous adhérons par la foi, dépasse l’intelligence. Car ce qui est grand, frères et sœurs, dans la foi, plus encore que l’adhésion intellectuelle que nous donnons à une vérité, c’est la souplesse sans limite de l’adhésion que nous donnons à la Personne de Jésus. La foi, c’est la préférence permanente donnée à une autre lumière que la nôtre.
Et c’est précisément ce qui est beau et ce qui est difficile, c’est que c’est une lumière qui ne vient pas de nous mais d’en haut. C’est pourquoi la foi sera toujours un combat. Paul, dans la lettre aux Romains, parle de « l’obéissance de la foi » et il dira plus loin que « c’est une victoire ». Et si c’est une victoire, c’est qu’en amont il y a eu un combat.
Les proches de Jésus, « ses frères » comme dit l’Évangile c’est-à-dire sa parenté : Jacques le Mineur, Joset, Simon le Zélote, Judas, et ses sœurs dont parle l’Évangile (probablement celle qu’on appelle « l’autre Marie »), apparemment n’en sont pas là du moins à cette heure-là. Ils se tiennent à distance de Jésus. Et cependant, on nous dira que le jour de la Pentecôte, ses frères et sœurs, ses parents, sa parenté, étaient en prière dans la chambre haute avec Marie, la mère de Jésus, et les onze apôtres. Ils auraient parcouru un chemin de foi entre l’Ascension et la Pentecôte. Et sûrement que Marie n’a pas été étrangère, avec toute la délicatesse qu’on lui connaît, à ce cheminement de sa parenté pour qu’ils ouvrent leur cœur à la Personne de Jésus. La foi en effet, frères et sœurs, grandit, elle est un cheminement. Ce n’est pas un bloc de béton qu’on reçoit au baptême. La foi peut être pleine de blessures, de fractures, à travers lesquelles on avance, et parfois on recule. On n’a pas la foi comme on a du courage, parce que la foi est un Don de Dieu, et elle ne pousse et porte du fruit que dans un terrain qui a été suffisamment labouré, retourné, travaillé. Et ce travail de labour de notre intérieur, de notre âme, c’est le travail de l’Esprit Saint !
Nous avons entendu en deuxième lecture le témoignage de Paul : « Je n’hésiterai pas à mettre mon orgueil dans mes faiblesses afin que la puissance du Christ habite en moi ». Oui, le grand Paul, ce géant de l’évangélisation, a connu la faiblesse, comme Jésus a connu dans son humanité la faiblesse. Ne pensons pas, frères et sœurs, que la grâce divine nous rende immédiatement plus forts, ou plus sages, ou même meilleurs. Après sa conversion, Paul (devenu aveugle suite à la vision sur le chemin de Damas) doit être conduit par la main comme un petit enfant jusqu’à la ville de Damas. Ainsi en est-il, frères et sœurs, de celui qui décide de suivre résolument le Christ. Il doit aussi être pris par la main.
« Heurts et malheurs, à qui se livre à l’Esprit Saint » disait Charles Péguy. Il arrive à celui-ci, qui s’est totalement livré à Dieu, d’être assailli par des tourments, des tempêtes. Il n’a plus alors qu’à se laisser guider par Dieu dans l’obscurité de la foi.
Nous trouvons, frères et sœurs, dans l’exemple de Saul devenu Paul, le secret de la vie spirituelle. Ici, toujours à la lumière de la vie de Paul, je voudrais souligner ceci : à savoir qu’il est important d’assimiler un vieil enseignement qui est présent dans diverses traditions religieuses, y compris dans la Bible, à savoir qu’il s’agit de la conviction que « moins est plus ». Car lorsque je suis faible, dit Paul, c’est alors que je suis fort : moins est plus. Paul, paradoxe de la vie chrétienne !
La fragilité humaine est la marque de notre disponibilité, de notre ouverture aux autres. Saint Bernard s’exclamera dans un de ses sermons : O’beata infirmitas ! : O bienheureuse faiblesse !
Que la mère de Dieu, frères et sœurs, la sainte mère de Dieu – qui a tenu une place si importante non seulement auprès de son enfant Jésus, avec son époux Joseph, mais aussi probablement à Nazareth dans sa propre famille ; Marie, qui a dû souffrir du manque de foi de ses proches à l’égard de Jésus – qu’elle nous conduise elle aussi par la main sur un chemin de foi afin que, comme en Paul, la puissance du Christ agisse en nous et en chacun de nos frères en humanité. Amen !